Pentangle, vieilles branches

par Adehoum Arbane  le 23.06.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Si nous devions donner un conseil de lecture à nos chères têtes blondes, pas tout à fait adolescentes, nous les pousserions une main sur l’épaule vers Jules Vernes, Roald Dahl, Tolkien bien sûr, mais aussi Chrétien de Troyes et la littérature arthurienne dont il fut le fondateur. Et comme bande-son de ces folles aventures, entre héroïsme et amour courtois, nous aurions tendance à leur associer très naturellement la musique de Pentangle. Cette formation anglaise prend source dans les circuits folk et jazz londoniens. Bert Jansch et John Renbourn ont déjà roulé leur bosse ensemble. Leurs jeux de guitare, bien que différents, s’associent parfaitement. Dès lors, l’idée de monter un groupe va très vite s’imposer. Ils accueillent la chanteuse Jacqui McShee et une section rythmique jazz, ayant officié chez Alexis Korner : Danny Thompson à la contrebasse et Terry Cox à la batterie. La jeune formation opte pour le nom de Pentangle, pentacle donc, en raison des cinq branches représentants les cinq musiciens. Ils signent chez Transatlantic et enregistrent deux albums pour la seule année 68. 

Puis vient l’année 1969. Le 26 octobre, sort leur troisième Lp, Basket Of Light. Light Flight, tout autant que ce panier de lumière dont il est tout droit sorti, sont les lumineuses promesses d’une musique charmeuse et subtile. À l’intérieur du vinyle, le groupe avertit : « All the instruments played on this album are accoustic. » Voilà qui pose les choses. Un peu comme si Chrétien de Troyes avait cru bon de prévenir ses lecteurs que son œuvre ne devait pas se lire sur liseuse mais bel et bien en livre, en faisant l’effort de tourner les pages, souvent jaunies par le temps, avec cette fragrance si particulière et propre aux vieux ouvrages. Produit par Shel Talmy – l’homme derrière les Kinks –, les neuf morceaux sont un enchantement permanent. Basket of Light n’est pas ce que l’on appelle un album de songwriting, cinq des titres joués ici sont des traditionnels, comme il est coutume de dire s’agissant de la folk. Sally Go Round The Roses est une composition signée Lona Sanders et Zelma Sanders que l’on retrouve dans bon nombre de disques folk et pop de l’époque. Les originaux sont tous co-écrits et ils brillent par leur beauté simple. Light Flight, qui eut l’honneur d’être repris comme générique de la série Take Three Girls, constitue une parfaite entrée en matière du style Pentangle, entre délicatesse folk (la voix de Jacqui) et envolées jazzy (le formidable travail de Cox et Thompson). Le duo de guitares fait le reste et avec quelle virtuosité ! 

La suite est évidemment au diapason ! Once I Had A Sweetheart scintille comme un océan au couchant. Le glockenspiel et le sitar contribuent à la magie de cette ballade universelle, transcendée par un groupe l’exécutant en totale harmonie. Saluons l’enregistrement doublée des voix de Jacqui McShee qui ajoute à la splendeur céleste de l’instrumentation. Springtime Promises est typique du style Jansch, entre blues et folk. Quoi de plus normal, il en est la plume. Quant à  Lyke-Wake Dirge, il nous plonge dans un ambiance abbatiale. Là aussi, le travail des voix est tout à fait remarquable, impressionnant de précision et de naturel. En cet instant, on imagine Chrétien de Troyes écrivant ses récits chevaleresques à la lumière d’une bougie, dans une cellule monacale, avec pour seule clé sa rêverie. La face a se termine sur l’efficace Train Song, composition collective, droite comme une flèche. 

Face B. Hunting Song. Comme une réponse au précédent titre. Ce qui frappe c’est la capacité qu’on les musiciens – on a failli écrire dans un lapsus heureux magiciens – de nous propulser dans un autre monde, totalement imaginaire, sorte de passé fantasmé, de moyen-âge pas si moyenâgeux que cela, ce que les historiens qualifient de médiéval pour montrer à quel point l’art y était prépondérant, la courtoisie et le savoir aussi. Hunting Song est pareil à un vitrail de chapelle juste avant Noël, dont les feux les éclairent et les enflamment en mille nuances de bleu. Sally Go Round The Roses diffère par exemple de la version plus psyché et inquiétante donnée par le Great Society de Grace et Darby Slick, en 1966 au Matrix de San Francisco. Elle semble galoper follement dans une forêt légendaire d’Angleterre. Basket of Light s’achève par deux traditionnels, le merveilleux et incantatoire The Cuckoo, puis dans la foulée, comme si nous en redemandions toujours plus, House Carpenter et son sitar : il s’agit sans doute du morceau le plus "psyché" de l’album. 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire ou dire, cette musique n’a rien de ringarde, de vieillotte ou de surannée. Mélancolique oui, profonde, pour sûr. Pentangle poursuivra ses aventures jusqu’en 72. Là, chacun ira de son côté. Jansch et Renbourn mèneront leur carrière avec de très beaux disques dans une veine similaire. Quant à Basket of Light, on peut le ranger à côté du premier album de Renaissance, du meilleur Fairport qui demeure LA référence de la folk anglaise, et de l’ISB (dans un genre encore plus acide, il est vrai). Ces cinq branches ne furent jamais des branchés. Peu nous importe, ils ont gagné le graal absolu : l’immortalité. 

The Pentangle, Basket of Light (Transatlantic)

basket-of-light.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=itjFfz079f8

 

 

 

 

 

 


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