La Qualité Françoise !

par Adehoum Arbane  le 08.06.2020  dans la catégorie A new disque in town

Le made in France ou Qualité Française effectue de nos jours un formidable retour en force ! Qui d’un politique, hier en marinière, sortant son miel ; qui de jeunes startupeurs lançant fièrement leur slip sur le marché, au sens propre comme au figuré ; qui d’un sweat clamant son cocorico national de ses mailles noués et liés à son pays. S’agissant de la musique pop, il y eut bien entendu la French Touch, incarnée par quelques formations universalistes telles Daft Punk, Air, Justice ou Phœnix pour ne citer qu’elles. Mais un malentendu a toujours plané au sujet du rock français et plus globalement de la pop comme si la Nation de Sardou était incapable de produire sa propre interprétation de la grammaire beatlesienne. 

À dire vrai, ce malentendu n’a jamais existé que dans les esprits chagrins, taquins voire méchants. On a daubé sur la musique populaire française malgré de grands noms, Gainsbourg bien sûr, Dutronc aussi. Toute une génération d’artistes, jadis conspuée, bénéficie aujourd’hui d’une salutaire absolution : Souchy-Voulzon, Sheller, mais aussi des noms plus étranges, savant rocker comme pas deux (Martin Circus à leurs débuts). On songe aussi à la figure de la Girl Pop et, chez nous, à la belle Françoise Hardy. On peut le dire, Double Françoise ne s’est fort heureusement pas embarrassé de ses sombres et perfides augures. Elisabeth et Maxence Jutel, les deux Françoise donc, ont convoqué quelques beaux fantômes à vendre pour se donner un nom, un genre, une stature : les Françoise Hardy, Sagan et Dorléac, histoire de ne fâcher aucune discipline artistique. Sur le premier album qui sort enfin, après de nombreux concerts et quelques jolis singles semés çà et là sur les Internets, on y entend un peu plus que onze chansons. Double Françoise livre sa vision de la pop en réunissant toutes ces choses qui les ont accompagnées, Macca, la bossa, le tropicalisme mais pas que.

D’ailleurs, Les Bijoux – c’est le nom de l’album – débute de façon grandiose par le morceau titre dont le riff nous emporte, en tourbillons délicieux, dans cette Californie des garages et du psychédélisme brûlant. Ces deux malins-là ne nous avez pas habitué à ces sonorités tant le velours habillait habituellement leurs chansons. Me direz-vous, la voix suave d’Elisabeth nous ramène illico en terre pop, comme si les Love avaient enrôlé nos Deux-Sévriens. Tu n'es pas toisaute d’une époque à l’autre. Chanté avec leur mécène, le belge Benjamin Schoos, cette délicate ballade à la rythmique élastique fait penser au Gainsbourg de 73. Freya vise plus loin que leur département, le plat pays ou Paris : c’est un vol direct pour le Brésil. Maxence Jutel s’y attèle avec une belle franchise, sa voix de vitrail convient parfaitement à ces latitudes-là. Quant à Alcool fort, c’est la concession au blues des origines et où Elisabeth étonne par sa puissance. Il en faut. Après ce Retiens la nuit blues, on passe au chatoyant Retiens l'été, jolie promenade flutée sur les pas de Claudine Longet. Der Schmuck reprend le thème des Bijoux. Clap de fin de cette première face enjôleuse. 

À ce stade, on serait autorisé à se demander où est la France dans tout ça ? La réponse est sans doute dans la voix de Lizzie sur Retiens l'été, celle d’une Bardot amadouée, bossa-novée. Il est là le miracle français. Dans cette capacité à mettre du chic, de l’élégance à la française dans un genre typiquement anglo-saxon. En cela réside aussi la modernité du propos, au-delà de toute accusation de revivalisme qui serait une paresse. Mon amour tu es belle sonne comme une BO de film imaginaire, le talk-over en accentuant la délicieuse impression. On pense un peu au Troublant témoignage de Paul Martin. Encore un truc bien de chez nous, si l’on ose dire en ces heures où tout propos identitaire est montré du doigt. Loin de toi sonne comme un rapprochement de plus avec les compositeurs sud-américains qui fondent, en partie, le socle inspirationnel du groupe. Que c’est beau, que c’est délicat. Cosma et toi pourrait relever de la pochade. Mais cette chanson tendre rend un hommage sincère au célèbre compositeur dont les musiques de films, de Rabbi Jacob à L’aile ou la cuisse, ont bercé notre enfance. Détail de geek mais au combien admirable, Double Françoise se plait à brouiller les pistes analytiques en ajoutant à cette chanson, comme tant d’autres, des claviers plus eighties, histoire de ne pas se laisser cantonner dans un registre, fut-il riche. Twist again avant la fin n’est pas Twist Again à Moscou mais à Mauléon ! On trouve ici une autre tradition bien ancrée, celle des titres de chansons repris in extenso dans le refrain, littéralité bien française et toute Françoise ! 

Tourner la tête clôt ce disque formidable. Et c’est une fin ouverte comme on dit aujourd’hui. Co-écrite et arrangée par Gilles François, pop master at Mondial Pokett et grand fanatique des années synthétiques, cette chanson a tous les atours, superbes, du classique inusable, du tube que l’on chérit pour la vie. Il donne un espoir de suite et peut-être, soyons fou, dans un autre espace-temps qui doit former, là aussi, le bouillon culturel de Double Françoise. Une suite, certes. Rêvons surtout à une grande aventure, une saga familiale comme la France sait en produire. Car ces bijoux actuels nous font penser que seuls les Diamants sont éternels. 

Double Françoise, Les Bijoux (Freaksville Records)

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https://doublefrancoise.bandcamp.com/album/les-bijoux

Photo : © Stéphane Drouot 

 

 

 

 

 

 


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