Just A Girl Called Eddy ?

par Adehoum Arbane  le 02.06.2020  dans la catégorie A new disque in town

Des avis tranchés, sans retour possible. Ainsi va notre monde contemporain, toujours (trop) sûr de lui. Qui plus est lorsqu’il affirme ses poncifs sur les réseaux sociaux. Il n’est nullement question d’assumer fièrement une absence d’ossature intellectuelle, politique, spirituelle ou artistique. Mais les choses sont en vérité plus complexes. Il y a la vie des idées, des idéologies mêmes – pour ne pas dire des totems – qui passent et restent gravées dans le marbre de nos conventions. On ne peut s’y soustraite sans être accusé de traitrise, sans être illico presto voué aux gémonies. Ce sont des principes intangibles, inviolables. Et puis, il a la réalité, le pragmatisme qui nous amènent à reconsidérer certains acquis, quitte à les bousculer. Sans même parler du temps qui rend ces évolutions possibles et souhaitables. Been Around signé A Girl Called Eddy est sans doute l’album qui va conduire certains à se renier. Car il se peut qu’à l’instar de Erin, nous ayons parlé un peu vite. Ainsi, annonce-t-elle dans Big Mouth : « Every time i go and open my big mouth/What’s it all about ? ». 

Commençons d’abord par l’inventaire de ses évidents défauts. Il s’agit du troisième album de l’artiste en vingt et un an. Qui plus est, seize longues années séparent ce dernier de son prédécesseur. C’est peu dire que Erin Moran a pris son temps, chose impensable en cet âge d’or pop des sixties où des groupes comme les Beatles ou les Kinks sortaient au moins un album tous les ans, si ce n’est deux. Deuxième écueil que l’artiste n’a pas su éviter : le difficile renouvellement de son inspiration, du moins proposer quelque chose de relativement nouveau en cette année 2020. Passons maintenant aux qualités. Sans prétendre révolutionner la musique des cinquante dernières années, nous l’avons déjà évoqué, Erin Moran choisit d’explorer un corpus connu d’avance. Aucune surprise donc à l’horizon de ces douze chansons si ce n’est qu’elles sont toutes bien écrites et admirablement produites. Cela démarre – en beauté – par Been Around, stupéfiant de classe et d’élégance. Eddy y chante comme elle en a coutume, sans abuser des effets de manche propre à l’époque et à certaines starlettes de plateaux. Sur Been Around, on navigue clairement du côté des seventies avec ses quelques codes évidents : Fender Rhodes, cuivres saupoudrés tout au long des cinq minutes et vingt-quatre secondes, jusqu’à ce solo d’harmonica qui n’est pas sans rappeler les plus beaux succès de Stevie Wonder. Big Mouth marque un changement de registre où la sincérité le dispute à la douceur, celle des états d’âme. Jody démarre sous les meilleurs augures pour faire un joli clin d’œil à Steely Dan sur le refrain. C’est sans doute le titre le plus réussi de cette première face, voire de l’album. Il s’en dégage un swing incroyable, nous rappelant que la pop est bien une exigence de perfection, qu’elle soit mainstream ou non d’ailleurs. Shootée en imper’ et lunettes de soleil, Erin Moran résume à elle seule l’esthétique racée du morceau. 

Charity Shop Window est une chanson plus mélancolique, jouée au piano dans la plus pure tradition de Laurel Canyon. Sur le refrain, la production prend toute son ampleur et c’est un régal. On ne peut s’empêcher de songer aux titres les plus majestueux de Mama Said de Kravitz. Sans temps mort ni répit, Erin enchaîne avec le très tubesque Someone's Gonna Break Your Heart dont le refrain vous hantera longtemps. Il y a là un vrai savoir-faire qui est l’apanage du genre, sans parler de l’arrangement qui adresse des œillades énamourées à Be My Baby des Ronettes – Phil Spector’s touch ! La face se termine sur Not That Sentimental Anymore, un titre plus difficile d’accès après cette série parfaite. Mais comme son nom l’indique, nous sommes ici dans le registre de la sentimentalité. Celle-ci ne s’encombre pas de futilité ou d’artifice et nécessite une certaine complexité, de la profondeur pour s’épanouir. 

Face b, on franchit un cap. Riff de guitare simple mais captivant, mélodie et couplet au diapason. Two Hearts fait son office en quelques secondes avant que le refrain nous achève direct (dans le plus pur style Neil Hanon). C’est un début inespéré comme on en réussit si peu. Nous sommes arrivés à un moment précis de l’album où Erin Moran, très classiquement d’ailleurs, vise autre chose, pas tant l’immédiateté du début, mais des impressions plus contrastées. En ce sens, Lucky Jack (20-1) remplit son objectif, avec ses violons pas suffisamment lacrymaux pour lasser mais joliment mélancoliques pour transporter. Come To The Palisades pourrait commencer comme du Radiohead mais les cuivres nous indiquent une autre voie. Les chœurs sur le refrain y font des merveilles, c’est l’une des forces de ce disque étonnement intemporel. Erin fait le show sans se mettre plus en avant, restant à sa place. Pudeur qui l’honore. Finest Actor maintient la tension créée et continue de nous plonger dans une pop hollywoodienne, excusez la métaphore un peu facile au regard du sujet de la chanson. Mais il est vrai que les références aussi hétérogènes que Mulholland Drive de Lynch ou The Actor, écrit et chanté par Justin Hayward pour les Moody Blues, surgissent alors. L’album semble se finir sur NY Man, sorte de ballade Nick Drakienne, plus enlevée cependant. C’est à ce stade un sans-faute. Nous avons dit "semble" car, comme la tradition le veut, l’album inclut un morceau caché, Pale Blue Moon. Une fin rêveuse pour un disque bien réel, on vous rassure. 

Last but not least, Been Around a été produit par Daniel Tashian, fils de Barry, mythique leader des non moins mythiques Remains. Comme si Erin Moran cherchait l’adoubement, ce qu’elle obtient au final par le seul travail, et l’inspiration bien sûr. On réécoutera donc Been Around autant de fois qu’il le faudra en attendant un digne successeur. Pas dans quinze ans quand même !

A Girl Called Eddy, Been Around (Elefant Records)

been-around.jpg

https://elefantrecords.bandcamp.com/album/been-around-2

 

 

 

 

 

 


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