Face au cauchemar de 69, Paul Revere

par Adehoum Arbane  le 30.06.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

L’accord majeur est parfois délaissé au profit du mineur. Qu’elle en est la raison ? Le mode mineur témoigne d’un attrait pour la mélancolie et les artistes qui l’adoptent déclenchent systématiquement – mais très paradoxalement – des torrents d’empathie. Le mode majeur quant à lui incarne la joie, une certaine candeur – pour ne pas dire naïveté – qui le cantonne dans un registre, entre niaiserie et facilité. Ainsi, des petits malins se sont attaqué à Stairway To Heaven, réenregistrant ce classique ataraxique en majeur et diffusant la vidéo de leur méfait sur Youtube. Le résultat, fort logiquement catastrophique, a fait l’objet d’une popularité ricanante. Ces querelles idiotes entre partisans d’une musique sérieuse d’un côté et légère de l’autre n’a pas lieu d’être. Nombreux furent les artistes à utiliser l’un des deux dans un mood opposé. Comme Chopin et sa fameuse étude n°3 en Mi Majeur appelée Tristesse (souvenez Lemon Incest de Gainsbourg) et Lou Reed avec sa chanson, Xmas in February, elle aussi sur le même mode. 

Paul Revere a toujours été homme à assumer ses choix. Pour lui, ce sera le Majeur ! Toute sa production suit cette voie. Cependant, un album nous intéresse ici, pour de nombreuses raisons musicales et conjoncturelles. Le bien nommé Hard'n'Heavy (with marshmallow) nous montre qu’au pire de la tempête, on peut proposer une musique aussi entrainante que celle jouée par l’orchestre du Titanic. Car une fois n’est pas coutume, les onze titres sont tous des remèdes à la morosité. Formés au tout début des sixties, nantis de sublimes costumes d’officier anglais du XVIIème siècle, Paul Revere and the Raiders représentent l’archétype de la formation garage rock gentiment attirée par les sirènes du psychédélisme qu’elle adoptera de manière homéopathique. Mais le 5 mars 1969, lorsque sort ce dixième album, le groupe choisit de pimenter sa formule pop. C’est Mr. Sun, Mr. Moon qui se charge d’ouvrir l’album. Mélodie immédiate, interprétation bien en place, les Raiders assènent leur coup de grâce, comme ça, sans que l’on n’ait rien demandé. Blague à part, la suite réserve son lot de grands moments. 

Le chanteur le clame fièrement, Money Can't Buy Me ! Il faut dire que Paul Revere & The Raiders s’est imposé, dès ses débuts, comme une machine à tubes, un succès comme seul la Californie pouvait en proposer. L’orage approche avec Time After Time dont la vrombissante entame, gorgée de fuzz, met les pieds dans le plat de marshmallows. Malgré ces riffs triomphants, Paul Revere saupoudre ses chansons de notes cristallines comme sur le très soul Ride On My Shoulder. Without You – et son harmonica revisité à la sauce Hard’n’Heavy – est le deuxième moment fort de cette face A et Trishalana vient la clore de manière délicate et presque planante. La Face B n’est pas en reste. Elle débute par le rock’n’roll Out On That Road et ses saxophones fifties, poursuit avec le country-funky Hard And Heavy 5 String Soul Banjo. Where You Goin' Girl resplendit dès les premières secondes avec ce son d’orgue aigrelet typique des formations californiennes. Comme pour enfoncer le clou de l’enthousiasme, le groupe enchaîne sur Cinderella Sunshine, titre lui aussi édité en single. Jamais une mélodie n’a été aussi proche de la promesse initiale : aussi délicieuse et collante qu’un marshmallow ! Call On Me est un appel à la joie, de ceux que l’on ne peut refuser tant le refrain "SOS détresse amitié" fait admirablement bien son job : « Call my name/Just wait and see/I’ll be there if you call on me. »

Paul Revere est en fait le dernier bastion d’une Amérique qui va de mal en pis mais qui reste toujours debout. Il incarne magnifiquement le naïf de service. Nous en avons tous un dans notre entourage, amical ou familial. Celui dont rien n’entame le moral, le gars ou la fille d’ailleurs, qui fait contre mauvaise fortune bon cœur, qui tire toujours un enseignement positif des pires vicissitudes. Admettez, cette personne, quelles que soient ses qualités, est bien souvent insupportable. Avec son sourire Ultra-Bright à l’image de ses pop songs, Paul Revere est cet indécrottable optimiste qui, pour conjurer cette fin de décennie trouble, a préféré la joie à la mélancolie. L’homme, tout comme le public, ne s’y est pas trompé. Les Raiders confirment leur statut de groupe pop le plus aimé aux États-Unis même si leur gloire pâlit face à la nouvelle génération. Dans une scène cruciale de Once Upon A Time In Hollywood, Quentin Tarantino fait dire à Sharon Tate qui discute alors avec un ami : « C’est quoi ton problème ? Tu as peur que je dise à Jim Morrison que tu dansais sur du Paul Revere and The Raiders ? Ils ne sont pas assez cool pour toi ? » Logique ils étaient à l’époque un groupe majeur

Paul Revere & The Raiders, Hard'n'Heavy (with marshmallow) (Columbia)

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https://www.deezer.com/fr/album/7224703

 

 

 

 

 

 


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