The Secret Sisters, secret bien gardé

par Adehoum Arbane  le 05.05.2020  dans la catégorie A new disque in town

« Pour moi, la pire image du rock, c’est les groupes d’aujourd’hui qui s’habillent en Kooples ». Voilà ce qu’affirmait le réalisateur Bertrand Bonello dans une récente interview pour Rock&Folk. La posture, c’est le pire danger guettant le monde de la pop. Constat identique lorsque la musique fait la course à la hype, quand elle se borne à capter, non pas l’essence, mais l’air du temps sans se prélasser dans la source de l’authenticité. Ainsi, un fin observateur a dit du Band que leur musique n’était pas plus à la mode aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque. Les Secret Sisters semblent avoir parfaitement intégré ce sage enseignement. Synthétisé dans leur quatrième album, Saturn Return. 

Laura et Lydia Rogers sont deux sœurs, ce n’est pas un secret. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elles écrivent, composent et interprètent leur propre matériel depuis maintenant dix ans. Sans avoir prêté une oreille à leurs précédents albums – et c’est sans doute un tort – ce quatrième essai nous apparait comme la traduction la plus magique d’une musique intègre, fuyant les facilités du genre. Laura et Lydia n’ont rien de glamour mais leurs chansons sont autant de profondes et majestueuses vignettes, preuves aussi qu’un certain rock (teinté de folk, de country) est toujours en vie, voire même vivace. Que dire de manière générale sur les dix chansons de nos si grandes sœurs ? Qu’elles ont été enregistrées at home, chez la musicienne Brandi Carlile, en compagnie d’une paire de producteurs, les frères Hanseroth, et que leur facture s’avère des plus classiques. Amateurs de synthés ou de hip-hop citadin, passez votre chemin ! Silver ouvre cet album et donne immédiatement le ton. Laura et Lydia chantent ensemble, et c’est cet esprit fraternel si l’on ose dire qui va perdurer tout le disque et le transfigurer. Sur un rythme allant, Silver caracole pour notre plus grand bonheur. Late Bloomer commence sur des notes de piano dans la tradition des chansons de Carole King et c’est d’emblée une merveille que l’on découvre. Comment un couplet et un simple refrain arrivent-ils à créer une telle impression ? L’alchimie parfaite entre des textes incarnés et cet art de la mélodie qui trop souvent se perd me direz-vous. Et c’est le cas. Tout au long de cette ballade pop, un groove soul pointe le bout de son nez sans pour autant parader. Tout est finesse dans ce bel ouvrage. Cabin prolonge cet état d’âme vaguement mélancolique, son sujet y fait beaucoup (les violences visant les femmes) mais le traitement légèrement plus rock nous dépose du côté de chez Johnny Cash. Hand Over My Heart est un rayon de soleil pop caressant la vitre, fragile et heureux à la fois. La production innove avec ce petit motif de synthé qui apporte une couleur particulière au titre, surtout au moment du refrain. Fair, de par sa sobriété, nous emporte dans un désert imaginaire que traverseraient de prestigieux fantômes – Jerry Garcia, Gram Parker – des esprits encore irradiants – Neil Young, Crosby. La slide sonne comme un écho dans le lointain. Le résultat est splendide. 

La face b (car ici on pense encore en face) nous offre de très belles surprises. Le merveilleux Tin Can Angel, tellement évident qu’on croirait en connaître l’air depuis toujours. Le bouleversant et tendre Nowhere, Baby qui emporte l’adhésion dès les premières secondes. Quel refrain, mon dieu ! Simple, beau ! Chose folle pour un morceau relativement typé, le pont qui survient à deux minutes et cinquante secondes se veut un touchant plaidoyer à la différence. Mais le meilleur est encore à venir. Hold You Dear marquera les esprits par les qualités vocales de Laura et Lydia, qui n’en font jamais trop – et le délicat échafaudage orchestral, cuivres et cordes à l’unisson. Water Witch avec son clavier électrique créée immédiatement une ambiance quasi spirituelle. On dirait presque de la colère mais jamais la violence n’y cède le pas. C’est une force tranquille, une douce tension qui porte la chanson tout du long.  Surtout à la fin qui n’en est pas une bien sûr. Une totale réussite. Enfin, dans la tradition des grands disques, les sœurs Rogers finissent sur une puissante chanson panoramique, ouverte comme un horizon radieux : Healer in the Sky. Dédiée à leur grand-mère défunte, cette chanson porte formidablement bien son nom. La production cristalline rend justice à la singularité des voix. Enfin, des chanteuses qui n’embarrassent pas leurs compositions de « Oh Yeah », « Baby » et autres tics aussi tonitruants qu’irritants. 

Saturne fait donc ici son grand retour et quel bonheur pour l’auditeur persuadé que le classic rock, comme on l’appelle désormais, a encore des choses à dire, de grandes et belles pages à écrire. Loin des pitreries auxquelles la caste des modeux, des influenceurs pop nous a trop souvent habitués. Tournons-leur le dos. Regardons devant nous. Ayons encore la foi en cette musique incroyablement populaire même lorsqu’elle est méconnue. Puisse ce témoignage lui donner, telle une pichenette enfantine, un modeste coup de pouce. Dont acte. Sisters Act bien évidemment. 

The Secret Sisters, Saturn Return (New West)

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https://www.deezer.com/fr/album/116431122

 

 

 

 

 


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