Charles-Baptiste, l’après

par Adehoum Arbane  le 12.05.2020  dans la catégorie A new disque in town

Rien ne sera plus comme avant. Le confinement aura donc eu raison de l’ancien monde, laissant déjà poindre l’après, à inventer bien évidemment. C’est peu de dire que cette éventualité fascine autant qu’elle effraie. Changer de monde, c’était la promesse de nos grands oncles hippies, des Dylan, des Beatles. Leur utopie s’était fracassée contre le mur des réalités. Et les seventies avait remis tout ce petit monde à sa place, y ajoutant son lot d’horreur guerrier et de cynisme politique. Alors qu’aujourd’hui, nos sociétés sont arrivées à un niveau jamais égalé de développement et de sophistication, l’idée de tout balancer cul par-dessus tête semble impossible. Alignement des astres ou hasard du calendrier, un artiste, en France, aura été le premier – ? – à opérer ce grand soir musical. Charles-Baptiste. 

Vous me direz, dans Charles-Baptiste il y a Baptême et c’est peu dire qu’une fois immergé dans les eaux claires de la pop contemporaine, notre chanteur aura resurgi, transformé. Transfiguré ? Le monde d’après, Charles-Baptiste l’a théorisé pour lui-même depuis quelques années. Logique qu’il ait décidé de tourner casaque. Tout, il a tout jeté à la poubelle, enfin presque (nous le verrons plus bas). Tel un Bowie des années 20 (en 2000, tout de même), il s’est repensé de la tête au pied, il a quitté son ancienne peau de chanteur pop d’inspiration seventies pour nous revenir, lavé de tout, immaculé et triomphant (on l’espère au moins d’un point de vue strictement économique). Seule son acuité est restée. Son sens du mot, de la phrase, pas tant de la punchline dont le concept, aussi temporaire qu’une story digitale, nous apparait comme surfait. On parlerait volontiers de formule, de sentence, une expression ramassée, synthétisée mais si diablement riche qu’elle laisse entrevoir des horizons autres. Charles-Baptiste est un littéraire, un littérateur même qui a cependant bien compris le monde dans lequel il vit et dont il embrasse certains codes (Le Love & Le Seum) sans tout reprendre benoîtement, sans se trahir donc. Chez lui, rien n’est aisé, tout est art. Prenez son premier single Slalom. Quelques citations opportunes (Riahanna, HBO, Barilla) pour finir sur un refrain manifeste, une déclaration haute : « Slalome, si t’es le fils de l’homme. » On en sort terrassé. 

Mais reprenons les choses au début. Au sens propre d’ailleurs. Bled est un morceau d’ouverture dont la force, la profondeur et l’amertume doucereuse auraient dû logiquement le placer en fin d’album. Le monde d’après, on vous dit. Ne rien faire comme avant. La fin sera donc un commencement. Premier acte fondateur. N’omettons pas de préciser que Bled est un très beau texte identitaire, n’ayons pas peur du mot, où Charles-Baptiste se raconte avec impudeur. Il dit tout de ses origines, proches ou lointaines. Soleil Glace prolonge cet instant suspendu d’une mélancolie au moins équivalente. Prenons le temps d’écouter le texte, certes, mais aussi la musique qui n’est pas l’énième bande-son ballote dons la nouvelle scène rap française nous a trop souvent habitué. La musique y est presque palpable, pleine d’une matière que l’on malaxerait bien comme de la glaise. Malgré sa double dimension spleenétique – en plus d’un souvenir en demi-teinte de ses années Essec, Charles-Baptiste confesse avoir passé un temps fou sur ce morceau –, BDE passe et nous conduit à Bunker dont l’habile jeu de mots sonde le cœur de l’homme, comme un implacable rayon-x. La diction y est parfaite, chose nouvelle s’agissant du genre dont notre musicien s’est emparé. Il prend le temps, on l’écoute en retour. Vibes incroyables malgré une certaine tristesse. Prosecco qui lui fait suite brille par sa mélodie, sorte de ritournelle un brin idiote mais qui fait le job de vous coller à la peau. Deux petites minutes et cinquante-et-une secondes pas si innocentes vers Coup d'un Soir. C’est une chanson sublime qui appartient, disons-le, au répertoire du monde d’avant, mais dont Charles-Baptiste, par la magie chamanique de la production, a fait un morceau actuel et fort. On est dans la pop, celle que l’on aime, celle qui vous habite immédiatement. Judicieusement placé entre deux,   revient au propos initial, avec ses images incroyables (« Dans mon jean, c’est le Niger »). On appréciera de même, comme pour Soleil Glace, ces featurings improbables mais qui marchent à merveille, ici Pierre Kwenders. Morceau frère de Coup d’un soirSexamour démontre le savoir-faire de Charles-Baptiste pour qui la pop est une religion et le mainstream n’est pas un gros mot. Un peu comme Kevin Parker. Solo, Slalom et Pas de Souci (la suite en « S ») referme ce Love & ce Seum si bien nommé. Là encore, la pop est un fil d’Ariane qui distingue Charles-Baptiste de ses modèles légitimes – encore que.  

Précipité de nos angoisses et de nos espoirs – Bouquet de fleurs devant centrale nucléaire – Le Love & le Seum a trouvé son chemin vers nous. Espérons que ce chemin de Bled ne sera qu’une minuscule bifurcation vers l’autoroute radieuse du succès. Dieu sait qu’il le mérite. Il a tout fait pour. Il a pris tous les risques. Il faut bien le dire, l’avouer même, pour l’amateur d’une certaine pop d’antan, l’expérience s’avéra déroutante. Son album est pourtant un uppercut sonore. Il a fait Reset, qu’il fasse donc recettes. 

Charles-Baptiste, Le Love & le Seum (Robert Records)

fronthd-copyright-zacharie-rabehi.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/130579792

Photos Copyright Zacharie Rabehi

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top