Rough Machine

par Adehoum Arbane  le 14.04.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

En brocante, tomber sur un vinyle d’occasion en parfait état – pochette comme disque – ne signifie qu’une chose. L’œuvre n’a pas été beaucoup écoutée. Ainsi, on peut en déduire qu’un vinyle en très mauvais état est un authentique chef-d’œuvre. De ceux que ses propriétaires successifs ont éprouvé, voire malmené. Cette règle est le pendant de celle qui a fait de Dark Side Of The Moon le disque idéal pour tester sa chaîne HI-FI. S’agissant du troisième album de Soft Machine, ce dernier nous le rend bien. Par-delà les sillons abîmés, c’est un cri qui se libère et surgit face à nous, tel un Dick Turpin sonique. Éberlués que nous sommes, nous restons de marbre. Un filet de sueur s’écoule le long de notre front. Plutôt que de revenir par le menu détail sur Third, chef-d’œuvre anglais au carrefour de la pop, du jazz et du rock, restons sur l’intention de départ. Le vinyle fair.

Si l’on y prête dorénavant attention, de nombreux disques peuvent prétendre à ce statut. Third bien évidemment mais un an auparavant Abbey Road des Beatles. Deux après le chef-d’œuvre soft machinien, Harvest de Neil Young, quel que soit le pressage – US, UK ou français –, n’échappe pas au constat, ses chansons crépitant d’avoir trop été passées. Il faut dire que l’album est l’un des grands Best Sellers de l’Histoire de la pop. Idem pour Tommy des Who, Dark Side donc, Led Zep IV ou le Deep Purple In Rock qui ont atteint le Panthéon du proto-métal en seulement une année, celle de leur publication et de leur diffusion. Bien évidemment il convient d’éviter le piège classique. Ainsi, on trouve souvent au détour d’une échoppe ou d’un vide-grenier un Histoire de Melody Nelson en piteuse forme. Non pas que le disque ait été joué des millions de fois mais en bon chef-d’œuvre boudé, il vécut longtemps dans les recoins humides de nos caves, sujets aux grignotages du temps et aux dégâts des eaux. Curiosité catégorielle, In-A-Gadda-Da-Vida de Iron Butterfly, profondément usé mais uniquement à moitié ! La raison, le morceau titre, long de dix-sept minutes et onze secondes, qui occupe à lui seul toute une face. Get Ready de Rare Earth, vendu à un million d’exemplaires, Dark Star du Dead (sur Live/Dead) ainsi que la longue suite Atom Heart Mother se voient affublés de la même tare : the one face used. Plus pointu encore, le Double Blanc des Fab dont les faces sont toutes marquées au fer blanc des multiples passages du diamant sauf l’avant dernier morceau de la face d, Revolution 9. Hasard ? Non. Pour les trois premières minutes, Tubular Bells de Mike Oldfield entre dans cette classification "propre". Enfin la pop issue du Marché Commun n’est nullement victime d’un euro-sceptiscime de bas-étage. Parmi les chefs-d’œuvre blessés, on trouve Autobahn (le morceau plus que l’album) de Kraftwerk et 666 de Aphrodite’s Child ; logique, ce dernier étant frappé du chiffre maudit du Malin. Et on ne parle pas des 45t dont le format bien trop court a toujours été sujet à une existence aussi précaire que provisoire. 

Pour en revenir à Third, disons que cet album et ses quatre morceaux sont emblématiques du succès du LP. Ainsi au mitant des sixties, le 45t cède la place aux 33t. C’est l’ère de l’album concept, de l’œuvre pop totale à l’image de Sgt Pepper’s des Beatles, dont la perfection s’étale de la pochette jusqu’au dernier titre. Avec l’Album Roi, conçu comme un objet cohérent de bout en bout, la manière d’écouter change. On n’envisage plus la musique pour danser mais on choisit de la découvrir dans l’intimité d’une chambre d’adolescent ou sous la mansarde d’une chambre de bonne louée par un étudiant. Désormais, l’expérience va jusqu’à se saisir de la pochette et de suivre la musique en lisant les paroles quand celles-ci sont imprimées. Third de Soft Machine est typique de cette musique privilégiée par les étudiants et que ces derniers vivaient – pardonnez le pléonasme – live en suivant comme tant d’autres le circuit des collèges et universités anglaises. C’était l’époque bénie du Prog. De Genesis à la douce théâtralité. Du Tull et du Crimso. De tous ces noms légendaires quoique trop souvent moqués. C’est riche de leurs stigmates qu’on les réécoutera jusqu’aux larmes et cætera. 

Soft Machine, Third (Columbia)

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top