Édith Nylon, avorton ?

par Adehoum Arbane  le 28.04.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Les vaches sacrées sont devenues hélas inattaquables (mais devraient l’être cependant). Certaines ont acquis ce statut de haute lutte quand d’autres en ont hérité à la faveur d’un événement tragique. Accident mortel, suicide façon grand cirque rock’n’roll, overdose dans une chambre d’hôtel, ou en huis-clos, moins théâtral et plus humain. C’est le cas de Ian Curtis, qui a sans le vouloir propulsé illico son mythe dans les Olympes de la Légende pop, au-delà des qualités intrinsèques des deux disques de son groupe, Joy Division. Le totem est tel que plus personne n’a prétendu lui faire, si l’on ose dire, de l’ombre, pas même New Order qui naîtra de ses cendres. Aucun concurrent valable à l’horizon en Angleterre, encore moins aux States. Et en France ? La question ne se pose pas, voyons ! 

Et pourtant Édith Nylon. Édith Nylon, c’est Joy Division en mieux. Même année de sortie, les musiciens de Joy Division étant légèrement plus âgés que les enfants de Édith Nylon. Lorsqu’ils enregistrent leur premier album après une signature avec CBS – quand même –, Mylène Khaski, Zako Khaski, Christophe Boutin, Laurent Perez et Albert Tauby sont encore lycéens. Des avortons. Dès 77, ils jouaient déjà, sentant venir en France le vent du rock et du punk. Pour eux ce sera une tempête. En effet, leur album va s’écouler à 90 000 exemplaires, un succès d’estime à l’époque mais qui, aujourd’hui, ferait pâlir pas mal de musiciens. Ce chiffre leur permettra d’assurer leur avenir. Mais revenons à Édith Nylon, l’album. Relativement court, trente-trois minutes au compteur, il forme un ensemble compact, cinglant. Plutôt traditionnellement rock quoique froidement enluminé de quelques claviers bienvenus (et futuristes), le disque s’avère passionnant quarante-et-un plus tard. Il résonne même avec notre actualité progressiste où s’entrechoquent les dernières innovations bousculant nos plus anciens fondements. À l’époque, le discours cyberpunk relève de la posture littéraire et esthétique. Chez Édith Nylon, c’est avant tout un formidable incubateur des obsessions à venir : fin de vie, être augmenté, procréation médicalement assistée. Jusqu’à Femmes Sous Cellophane, le single ultime qu’on ne retrouve hélas pas sur l’album – comme Strawberry Fields Forever et Penny Lane avec Sgt Pepper’s ou Arnold Lane et See Emily Play avec Piper At The Gate Of Dawn – et qui semble faire, lorsqu’on l’écoute en 2020 un joli pied de nez au mouvement me too. Alors que le morceau ne fait que raconter les plaisirs de la jeunesse populaire ou bourgeoise, ceux de l’extase et de la danse. Revenons à l’album. Avorton est une superbe entrée en matière, dissonante à souhait, comme si dès le départ l’intention était bel et bien d’effrayer. Énorme riff de synthé en guise d’introduction donc, paroles étranges et repoussantes, refrain hystérique sans même parler de la section rythmique militaire. On navigue pas loin de Transmission de Joy Division mais qu’importe. Mylène Khaski s’en donne visiblement à cœur joie, efficacement soutenue par ses camarades. À ce propos, on est impressionné par leur savoir-faire de la jeune formation, toutefois fort bien épaulé par le producteur de Patrice Fabien, bientôt producteur de Guesch Patti sur Étienne. Le mec semble avoir le flair pour les succès en prénom.  Vient alors le single qui a donné au groupe son évident patronyme, sous les conseils avisés de leur manager de l’époque. Et puis il y a « Édith Nylon, c’est moi ! », sorte de cri de guerre, slogan propriétaire. Tank sonne comme une offensive au cœur d’une imaginaire jungle plantée au cœur des Ardennes. Avec son couplet en forme de lamentation et son refrain qui réveillerait les morts de la précédente guerre/chanson, Chromosome XO offre un cruel éclairage de nos fantasmes scientifiques. Nous y sommes arrivés. La face se referme sur Herr Monde et ses cris d’animaux en rut. On retiendra surtout le solo de synthé étiré comme une matière chauffée à blanc, devenue quasi élastique. 

Face B, ouverture sur Hydrostérile et ses multiples thèmes d’introduction. La longueur du titre, choix étonnant compte tenu des options retenues en face A, y est pour beaucoup. C’est un des grands moments de l’album. Qu’à cela ne tienne, les deux minutes chrono de Être Automatique assurent idéalement la transition avec Euthanasie – on fait grise mine chez Édith Nylon –, chanson malgré tout hyper mélodique. C’est d’ailleurs la marque de fabrique du groupe. L’album se referme sur deux folies, le glaçant Ma Jolie Famille et le troublant Sado Maso où Mylène d’une voix d’outre-Opéra chante des clitoris brûlés avec des orties blanches. Ambiance ! Façon de parler car on ressort euphorique de ce premier essai qui en appelle d’autres. L’année suivante qui lance la nouvelle décennie, Édith Nylon revient avec un deuxième long au son plus étoffé et regorgeant de classiques (Cinémascope, Johnny Johnny, Femme Fusée). La même, le groupe sort un EP qui fera date, artistiquement parlant : Quatre Essais Philosophiques. Un changement de line-up et le groupe sort Écho Bravo, son troisième et dernier long. Il y aura un après-Édith Nylon, plus orienté business et entreprises jusqu’à ce retour et la promesse d’un nouvel album. Édith Nylon, c’est toi, moi et eux. 

Édith Nylon, Édith Nylon (CBS)

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