Camel top

par Adehoum Arbane  le 21.04.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Une pochette d’album digne de ce nom, lorsqu’elle fait plus qu’exhiber les bobines du groupe, renseigne toujours sur son contenu. Prenons quelques exemples. Celle de In The Court Of The Crimson King, bien que dépourvu de titre – le nom du groupe n’y figure même pas –, s’annonce bel et bien comme l’évidente promesse d’un contenu musical sous la forme d’un cri. Third de Soft Machine, sous son habillage de kraft, privé ainsi de chair et d’affect, rappelle bien aux initiés comme aux profanes que le groupe, inflexible, évolue à marche forcée vers une musique (presque) entièrement instrumentale, au grand dam de Wyatt. 

Ici, le propos est d’une clarté absolue. Malgré son extrême laideur, la pochette de Breathless, sixième album de Camel, annonce la couleur. Prenons le temps de l’examiner avant même d’en explorer le contenu. Il s’agit avant tout d’une illustration comme il était de coutume d’en produire à l’époque : un désert, délimité par une chaîne de montagnes à peine esquissée, s’étend dans le calme d’un coucher de soleil américain. En haut, le nom du groupe apparaît en lettres fluorisées. Un nuage traverse l’image. En bas, le nom de l’album sillonne la pochette en un discret néon à peine allumé. Au milieu, un chameau, mascotte du groupe, lève la tête vers le ciel, yeux mi-clos. La toile céleste, aux tonalités tirant du jaune à l’ocre, est entièrement quadrillée, comme un papier millimétré. Au verso, on retrouve une composition relativement similaire, à quelques détails près : le chameau a disparu et les teintes déclinent une jolie nuance de vert, avec des montagnes violines. Les titres, ferrés au centre, proposent un menu qui ne correspond pas cependant à la tracklist. Simple erreur ou volonté réelle de perdre l’auditeur ? Peu nous importe à ce stade. Que penser de tout cela ?  Tous ces éléments forment une grille de lecture qui nous indique le chemin que souhaite emprunter Camel en cette année 1978, éclairante à plus d’un titre. En effet, le progressif a perdu quelques-unes de ses plus belles plumes ; c’est un oiseau qui parade avec moins d’allant. Par ailleurs, la musique disco a fait son entrée en piste et derrière elle, tout une colonne de jeunes attend d’investir la place (les fameux night-club chantés par Iggy Pop). Au milieu de ce champ de bataille confus, Camel se relève et brandit l’étendard pop FM (le désert, les montagnes, les highways) dans une forme de résilience admirable. Sonnons clair plutôt que de disparaître ! 

Ainsi vont les neuf chansons, même si deux d’entre elles poursuivent la veine progressive (Echoes et Sleeper) avec un certain talent et sans perdre de cette lisibilité enfin retrouvée. Fleuron moins connu de l’école de Canterbury, qui privilégie autant la recherche et l’avant-garde que l’évidence mélodique, Camel a parsemé la production anglaise des seventies de très beaux disques où son aptitude à trouver des airs que l’on sifflote fait toujours mouche. Sur Breathless, prédomine une inspiration légère, mais avec l’élégance propre à cette scène, qui donne à ces compositions l’apparence séduisante des hymnes. Il est vrai que la basse rondelette et agile de Richard Sinclair, ancien de chez Caravan, tout comme sa voix chaude et rassurante, vont en faveur de la démarche collective, créant un impact immédiat. Le morceau-titre, tout comme Wing And A Prayer (chanté par Latimer) apparaissent dans tout leur éclat auroral. Le fait aussi de privilégier des claviers au son cristallin (le Fender Rhodes, le clavier des années 70) en place du traditionnel orgue Hammond, sans même évoquer la flûte et les sax de l’incontournable Mel Collins, ces différents choix contribuent à l’ambiance générale et au résultat qui étonne. En effet, si Breathless reste un disque mineur, il n’en demeure pas moins une galette des plus agréables, riche en beaux moments, comme ce Down On The Farm composé par Sinclair. Tout a été pensé pour en faire un tube potentiel : entame énergique, couplet typiquement british tant musicalement que dans ses paroles bucoliques, refrain mémorisable, générosité font de cet ensemble l’un des meilleurs titres de l’album. Starlight Ride s’avère une très belle ballade de fin de face, comme la bande-son rappelant l’image de la pochette. On s’imagine alors en voiture, la nuit, dans ce désert imaginaire et pourtant connu aux références littéraires et cinématographiques faisant surgir des clichés, des souvenirs : Arizona Dream, Bagdad Café. Summer Lightning débute la face b en singeant les codes de la disco mais avec ce swing canterburrien que tous les fans de Caravan et d’Hatfield & The North adorent par-dessus tout. You Make Me Smile démarre sur un tempo et un motif inquiétant mais qui appelle automatiquement à lui emboîter le pas, le refrain quant à lui retrouvant des accents plus joyeux. Après un Sleeper paradoxalement efficace, l’album se clôt sur le majestueux Rainbow's End qui préfigure avec trois ans d’avance la majesté du chef-d’œuvre eighties de Camel, Nude. Si en ce début de nouvelle décennie, le roi prog était quasi nu, il n’en était rien du prince Camel. 

Camel, Breathless (Decca)

beathless.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/160200

 

 

 

 

 

 


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