Incredible String Bob

par Adehoum Arbane  le 31.03.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Si ce couillon de Dylan avait pris le tournant du psychédélisme, qu’aurait-il donné sur disque ? Cette question cruciale restera à jamais sans réponse. Ce n’est pas tant que nous regrettons cet enchaînement magique que constituent Bringing It All Back Home/ Highway 61 Revisited/Blonde on Blonde qui est un peu l’équivalent américain de la suite Rubber Soul/Revolver/Sgt Pepper’s, mais en folk. Mais quelles raisons objectives, en dehors du simple effet de mode, l’ont conduit à faire ce virage, si l’on ose dire, rigoriste des années 67-69 ? Rappelons que le 29 juillet 1966, Dylan est victime d’un accident de moto. La période de convalescence sera le fruit d’une profonde réflexion artistique menant à John Wesley Harding. 

Mais revenons à l’année 1965, en août. Pas à New York mais à Édinbourg, en Écosse. Chaque semaine, Clive Palmer et Robin Williamson testent leur duo folk traditionnel au Crown Bar, également fréquenté par Bert Jansch. Dénicheur de talents pour le label Elektra Records, Joe Boyd les repère vite sans pour autant les engager. Plus tard dans l’année, les deux jeunes musiciens recrutent un guitariste rythmique, Mike Heron, et prennent pour nom The Incredible String Band. Début 66, Palmer monte un club de folk ouvert toute la nuit, le Clive’s Incredible Folk Club. Boyd y revient dans le but de les signer. Chose faite, ils filent en studio graver leur premier disque. La musique entièrement composée par le groupe apparait dans toute sa singularité, déjà drapée de mystère. C’est le folk hivernal de  Maybe Someday qui ouvre le bal suivi par October Song dont Dylan parlera en des termes élogieux dans une interview donnée à Sing Out! en 1968. Womankind, The Tree ou encore Dandelion Blues témoignent d’une réelle maturité, tutoyant ce psychédélisme délicatement excentrique qui fera le charme des enregistrements futurs. Malgré son très beau Empty Pocket Blues, Clive Palmer quittera le groupe pour faire le voyage vers l’Indes et l’Afghanistan, Williamson partira au Maroc avec sa compagne Licorice McKechnie, Heron lui restant à Édinbourg. 

Fin 66, Heron et Williamson réactivent l’ISB, renouant avec la formule en duo des débuts, et embarquent dans la foulée pour une tournée folk avec Tom Paxton et Judy Collins. Détail étonnant, les deux jeunes hommes ne s’apprécient guère humainement, mais leur aptitude de compositeurs leur permet d’emmagasiner un stock de chansons suffisant pour assurer le bon fonctionnement du groupe. L’année 67 les voit enregistrer les treize chansons de leur premier chef-d’œuvre The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. La dimension épique même dans un format pop, les voix puissantes et originales de Mike et de Robin, leur manière d’aller au-delà des conventions tout en restant dans le jardin de la folk, fut-elle britannique, les rapprochent dans l’audace de Dylan. Sans parler du caractère iconique du duo qui créé très vite autour de lui une hype à nulle autre pareil. McCartney et Robert Plant tombent en pamoison devant leurs chansons ; Plant aura certainement songé à leurs premiers disques au moment d’enregistrer avec Page l’album III. Si Chinese White de Mike Heron ouvre le disque tout en délicatesse, avec prévenance, No Sleep Blues s’annonce dylanien en diable, nanti cependant de ces ingrédients psychédéliques dont l’exotisme vaudrait aujourd’hui un procès, au mieux, en réappropriation culturelle, au pire en racisme. L’oud marocain et la flûte y font pourtant des merveilles. De plus, The 5000 Spirits offre une suite de chansons formidables aux mélodies immédiates, cristallines comme le frais matin bouddhique. L’ISB expose au fil de la tracklist ces deux plus admirables facettes : de courtes vignettes adorables et limpides (Paintbox, Little Cloud, The Hedgehog's Song, You Know What You Could Be, Gently Tender) et des titres comme autant de mantra, tantôt sombres (The Mad Hatter's Song), tantôt méditatifs (The Eyes Of Fate). Au rayon des autres dylaneries revendiquées sont nominées Blues For The Muse, First Girl I Loved et Way Back In The 1960s. My Name Is Death signé Williamson lorgne déjà vers The Hangman's Beautiful Daughter (Witches Hat).  

Il ne s’agit pas de dire ou de laisser entendre que Dylan aurait sonné comme l’ISB s’il s’était laissé convaincre par les sortilèges de l’acide ou que l’ISB n’est que la pâle copie du minnesotain. Cependant les trois hommes partagent cette passion des récits mis en musique. Heron & Williamson sont d’authentiques poètes, écoutez bien leurs textes. L’introduction de Chinese White : « The bent twig of darkness/Grows the petals of the morning/It shows to them the birds singing/Just behind the dawning/Come dip into the cloud cream lapping/I can't keep my hand on the plough/Because it's dying/But I will lay me down with my arms/Round a rainbow/And I will lay me down to dream/Oh, will your magic Christmas tree be shining/Gently all around ? » Ou encore My Name Is Death : « I am the question that cannot be answered/I am the lover that cannot be lost/Yet small are the gifts of my servant the soldier/For time is my offspring, pray, what is my name ? » 

On ne mesure pas le caractère iconique de l’ISB dont le style musical le cantonne bien souvent au rayon des curiosités sixties. Pourtant la magie qui émane de ses disques en fait un concurrent sérieux des groupes installés, comme les Beatles. Une scène de Good Morning England (The Boat That Rocked) illustre bien l’aura du duo. Quand le père du jeune Carl tente de sauver sa collection de disques alors que le bateau de la radio pirate coule. On voit Bob « le calme » nager en direction de son exemplaire de The 5000 Spirits, flottant dans un gracieux ballet sous-marin. Enfin, tout comme Dylan et quelques autres pointures des sixties (Le Velvet), l’ISB a laissé une postérité, influençant tout un pan de la folk contemporaine, de Joanna Newsom à Neutral Milk Hotel en passant par les Decemberists, The Skygreen Leopards, Espers, Greg Weeks, Feathers etc etc. Et ce par-delà les vastes océans des décennies, alors que le groupe vivra à partir de 69 un déclin créatif. Dans l’ombre des jeunes pousses, courbées dans le vent, souffle l’esprit de l’ISB. Incroyable mais frais.  

ISB, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion (Elektra)

5000-spirits.jpg

https://tinyurl.com/szpafvf

 

 

 

 

 


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