Temptations, Black Painters

par Adehoum Arbane  le 25.02.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

La représentation des Black Panthers au cinéma est sans appel. Éructifs, violents, grossiers – du Fuck en veux-tu en voilà – et querelleurs. De Forrest Gump à BlacKkKlansman, rien n’y fait. Certes la cause qu’ils défendirent méritait un engagement plein et entier. Mais l’histoire populaire aura retenu leur tropisme belliqueux. Qu’en dit la musique de l’époque ? La soul qui déferle alors sur les ondes au début des années 60 – et qui produira de glorieux avatars dont le funk – a toujours fait dans le velours. D’ailleurs à ses débuts, la dimension politique est inexistante. Cette dernière apparaîtra néanmoins à la toute fin de la décennie, portée par quelques hymnes substantiels, War d’Edwin Starr notamment. Les Temptations ont démontré que l’on pouvait être combatif tout en restant élégant, formule synthétisée à ce propos par Dashiell Hedayat au sujet de Soft Machine en « Soft Power ». 

C’est sur leur dix-septième album, le prophétique 1990, que les Temptations se sont montrés sous leur plus beau jour, tels des Black Painters, miniaturistes de la soul. Et pourtant on ne peut pas dire que le projet part sur de bonnes bases. 1990 est entièrement écrit et produit par leur démiurge et sixième membre du groupe dès 69, Norman Withfield. Celui-ci en plus d’exercer un contrôle absolu sur la musique des Temptations la teinte d’une coloration sociale, bien dans l’air du temps, mais qui déplait cependant aux cinq interprètes. Désireux de revenir aux ballades qui avaient fait leur succès, ils veulent virer Withfield. Sans doute que la formule de Psychedelic Soula vécu. Nous sommes en 73, et l’ère hippie s’est achevée depuis longtemps. La mode est aux singer-songwriters et à l’introspection. Malgré ce contexte d’extrêmes tensions, la musique que renferme 1990 s’apparente à de la dentelle. Tout y est splendide, lumineux. Le disque s’ouvre cependant sur le viril Let Your Hair Down. Dennis Edwards roule des mécaniques vocales, il semble parader dans le plus pur style funk, épaulé par la guitare et une rythmique efficace, sur fond de cuivres jouant les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Damon Harris prend la relève mais sur un registre plus féminin. Préfigurant les années disco de Diana Ross, I Need You est une chanson d’amour éplorée dont le pont doucement explosif – la frappe souple et féline du batteur et les cordes nerveuses ! – inaugure un solo jazz rappelant les années Warner de Herbie Hancock. C’est une claque suave. Une bifle. Puis vient Heavenly, soul pop plus sereine où Richard Street et Damon Harris semblent planer sur un petit nuage. Ce paradis-là les éloigne des turpitudes politiques de Withfield. Une fois de plus la production en grande pompe fait des merveilles. You've Got My Soul On Fire et sa wah-wah plaquée or donne à cette chanson musclée son aura sexuelle. Ain't No Justice est autrement plus intéressante (sans déprécier pour autant le morceau d’avant). Cette dernière est au cœur des revendications de la communauté afro-américaine, de ses aspirations les plus profondes et les plus légitimes. Mais en conservant cette approche délicate où chaque son est pesé au trébuchet. Admirable travail d’arrangement, sans même parler des couplets en spoken words – excellent choix d’en confier le chant à Damon Harris – et du refrain chanté tel un slogan claquant dans l’air vicié de la révolution noire. Quand survient le solo de guitare, coup de poignard dans cette toile de fond politique, l’auditeur se retrouve satellisé. Surligné par une nappe d’orgue en suspens, le propos se veut quasi cosmique, effet que l’on ressentira sur Zoom. 

Deux titres occupent à eux seuls toute la face b. Même s’il débute de façon avenante, 1990 prend vite le vent de la contestation. C’est le morceau frère de Ain't No Justice et Let Your Hair Down en plus triomphant. Les paroles incandescantes resteront longtemps dans les esprits : « People are asking now/"How can you spend another dollar on the space race"/"When families at home are starving right in front of your face."/Where is your heart, America ? ». Ou encore le refrain, implacable : « America !/Don't get me wrong, I still love ya/In spite of all your troubles and woes/In my eyes you're still the greatest of them all ! » Zoom referme le disque tout en prenant le temps de nous installer sur sa propre rampe de lancement, direction la lune. Tout y est incroyable et l’on peut qualifier sans problème l’ensemble de Psych. Le refrain – soit le mot Zoom répété quatre fois – revient tel un leitmotiv lancinant. L’orchestration quant à elle sonne très Melody Nelson, on pense soudainement au texte de Gainsbourg : « S'il est libre, dites que vous voulez le quarante-quatre/C'est la chambre qu'ils appellent ici de Cléopâtre/Dont les colonnes du lit de style rococo/Sont des nègres portant des flambeaux. »

Norman Withfield parti, les Temptations attendront deux longues années pour sortir un nouveau disque. Ce sera A Song For You en 1975. Composé par Leon Russell, le morceau titre a connu la célébrité grâce aux Carpenters. Le symbole est là. Tout est dit. 1990 représente quant à lui une pierre angulaire dans l’histoire du groupe, un diamant taillé aux multiples facettes, dont les plus petites touches apportées par Withfield sont autant de coups d’éclat permanents. Comme quoi, politique peut rimer avec esthétique.  

The Temptations, 1990 (Motown)

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