Fanny ardentes et nous

par Adehoum Arbane  le 04.02.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

On vous dit Fanny et vous pensez fort naturellement à la femme du boulanger. On mentionne Fanny Hill et vous songez tout aussi promptement au célèbre roman anglais du XVIIIème siècle mettant en scène une fille de joie repentie. À chaque fois, des portraits de femmes bien campés. Le prénom de Fanny a connu un tout autre destin, celui de l’une des premières formations rock entièrement féminines. Ce qui les rend incroyables, voire incomparables c’est l’aplomb avec lequel elles ont coché toutes les cases de la singularité et de la réussite, au sens libéral du terme, en restant plus insondables que jamais, à rebours de toutes les idées reçues. 

Première case, celle des origines. Les sœurs Millington sont nées loin des États-Unis, fruits des amours entre une jeune philippine et un officier américain. La famille revient en Californie où les filles grandissent, développant leur goût pour la musique. Quand elles se lancent en 1969 dans l’aventure rock, leur groupe est repéré par Richard Perry, producteur à succès (Harry Nilsson entre autres). Une signature chez Reprise, filiale de Warner (un gros label donc) et voilà Fanny qui déboule en studio. Deux albums vont venir, leur offrant la possibilité de peaufiner leur style. Leur troisième album, Fanny Hill, les voit triompher. Enregistré en 1972 à Abbey Road sous l’égide de Geoff Emerick (pour l’ascendance Beatles) et comptant dans son casting des musiciens de studio triés sur le volet, Bobby Keys au saxophone et Jim Price à la trompette (pour l’ascendance Stones), Fanny Hill montre un groupe plus mature et déjà au sommet. Comme pour les précédentes livraisons, Fanny propose deux reprises, l’une en ouverture de la face a – Ain't That Peculiar de Marvin Gay –, l’autre démarrant la face b dans un vrombissement électrique – Hey Bulldog des Beatles. June à la guitare s’impose d’emblée comme l’égale des meilleurs solistes de son temps, et en la matière le contingent n’était pas réduit au strict minimum. La grande force de Fanny est sa grâce. Knock On My Door est une grande chanson qui fait penser à Carol King ou à Heart (les voix). You've Got A Home séduit par son dénuement, son aspect vignette californienne. Il faut presque pousser le volume pour entendre June Millington chanter. Wonderful Feeling emprunte un chemin plus mélancolique, empli de gravité, prouvant que les musiciennes ne sont en rien une fantaisie pop, voire une anomalie. Quand Blind Alley fait songer à Beck Ola, Borrowed Time explose, tout cuivres dehors !

Face b, nous l’avons dit, Hey Bulldog gronde dans les enceintes. Il faut mesurer le risque que l’on prend en se frottant aux Beatles. Là où d’autres y ont laissé des plumes, Fanny s’en sort avec les honneurs : les Fab ont validé leur version aux paroles revisitées ! Côté interprétation, c’est une démonstration de force. L’intro mêlant la basse énorme de Jean, le piano de Nickey et le clavinet de June restera gravée dans les mémoires. Think About The Children maintient le niveau dans un registre drama et Rock Bottom Blues, comme son nom l’indique, est la concession blues du disque. Sound And The Fury – qui porte très mal son nom – brille comme un lever de soleil sur une highway désertée. On dirait du Fleetwood Mac avant l’heure, ce que l’on appelle aujourd’hui une feel good song, où June démontre son aptitude à faire couiner la slide. Comme le veut la tradition pop, l’album se referme sur une chanson au refrain panoramique (The First Time), grand final idéal comme seuls les studios de la Route de l’Abbaye savaient en produire. 

Au cahier des charges des success stories, Fanny Hill atteint la respectueuse place de 135 au Billboard 200 et place un single, numéro 85 au Billboard Hot 100. Au-delà de la consécration commerciale, c’est bien souvent la reconnaissance des pairs que l’on attend le plus. Ainsi, c’est Bowie qui parle le mieux de Fanny : « They were extraordinary: they wrote everything, they played like motherfuckers, they were just colossal and wonderful, and nobody's ever mentioned them. » Rectification historique faite, David. Tu peux dormir tranquille. 

Fanny, Fanny Hill (Reprise Records)

fanny-hill-lp.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=sT4RVwmQ8NM

 

 

 

 

 

 

 


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