Heavy mettable

par Adehoum Arbane  le 14.01.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

On a souvent tort de céder aux messages publicitaires. Non parce qu’ils sont mensongers mais par trop réducteurs. Ce qui prévaut pour une voiture ou de la lessive a malheureusement fonctionné pour le Heavy Métal souvent moqué, genre anciennement appelé Hard Rock dont le préfixe sera décliné à toutes les sauces – pour exemple le Hardcore, lui-même devenu une insulte snob. Contre toute attente, le Hard aura déjoué les interprétations les plus lacunaires. Non pas en raison de sa popularité ou de l’indéfectible fidélité de ses multiples fans, réunis en différentes chapelles. Le Hard Rock aura été noblement porté tel un étendard par quelques formations matricielles, toutes nées de la cuisse de Jupiter mais surtout de celle des sixties aussi flamboyantes qu’une pétaradante équipée sauvage en Harley Davidson. Trois groupes – un américain et deux anglais – ont donc incarné cette dichotomie entre le velours et le fer.  

Steppenwolf, texte, anti-drogue et rock’n’roll. 

Le Loup des Steppes est un enfant contrarié de l’été de l’amour. Un rejeton ombrageux qui aura autant flatté la culture hippie qu’une frange plus adulte du rock dont les Doors étaient jusque-là les uniques ambassadeurs. Emmené par John Kay, Steppenwolf n’a pas seulement produit un hard éminemment funky et ce dès l’année 68. Il a fomenté un rock engagé, bien souvent à contre-courant des révolutions en marche. À la montée de l’Acid Rock et de son corollaire, le LSD, il répond par The Pusher, l’une des plus célèbres chansons anti-drogue. De même, au slogan « Peace & Love » il oppose Born To Be Wild. Cet hymne définitif à la tonalité très Beat aura l’honneur de figurer – tout comme The Pusher – sur la BO de Easy Rider, le film qui lancera le Nouvel Hollywood. Le groupe monte un cran au-dessus avec Monster/Suicide/America sur leur quatrième album (Monster- 1969). Cette ambitieuse pièce décrit les errances du pouvoir, la dérive impérialiste, l’enlisement du conflit nord-vietnamien et la trahison des élites bafouant les droits civils. Bien que démarrant sur une note optimiste et un clavecin inattendu, le morceau se finit sur ces paroles prophétiques : « America, where are you now?/Don’t you care about your sons and daughters?/Don’t you know we need you now?/We can’t fight alone against the monster ». Un morceau de bravoure qui en rejoindra un autre – Don’t Step On The Grass, Sam – sur les setlists de leurs concerts, messes électriques données lors de tournées monstres, down to L’Amerika. 

Deep Purple, entre néoclassicisme et jazz.

Ok, Deep Purple c’est Smoke On The Water et Fireball. Constat limité compte tenu des multiples réinventions de ce groupe né à la bonne époque, coincé entre 1967 et 1968. À l’instar d’un Bowie se cherchant désespérément, Deep Purple changera souvent de line-up et de formule, tout en connaissant d’emblée un franc succès. Ce que l’on retiendra de ses hésitations entre pop, psyché et hard naissant, c’est un certain sens de la surprise. Car derrière les attaques électriques tout en décibels, le public découvre un groupe désireux d’explorer des territoires vierges, de réconcilier la fraîcheur et la puissance du rock avec l’exigence de la musique classique et du jazz et ce, avant les progueux. Ainsi, il faut réécouter leur album éponyme sorti en 1969 qui est l’apogée stylistique de leur première période. Il enchaîne les morceaux singuliers. Blind et son clavecin ont quelque chose d’un tableau de Breughel. Lalena, piquée à Donovan, est une subtile ballade qui pourrait sombrer si elle ne partait pas en swing. April enfin, qui referme l’album sur un lent crescendo, entre hommage à Morricone et variation pour orchestre de chambre. In Rock, bien que très violent dans l’approche, voit le groupe ouvrir quelques fenêtres, portes de sortie élégantes à l’image du solo d’orgue sur Speed King. Comme quoi, le groupe était plus profond qu’il n’y paraissait. 

Led Zeppelin, derrière le riff, la dentelle folk. 

Voilà un groupe qu’on aura souvent raillé pour sa lourdeur – en langage rock on dit Heavy –, sa force brute, sans finesse et les couineries d’un Robert Plant semblant s’être pris plus d’une fois le pied sandalé dans la porte du studio. Là encore, la caricature est grossière. Car le groupe ne se contente pas d’aligner les énormes machineries proto-métal sur ses deux premiers opus, tous deux sortis en 1969. Your Time Is Gonna Come est une chanson lumineuse, une sorte de cantique pop. Sur le II, Thank You s’impose comme la plus belle ballade du groupe et, disons-le, un moment fort de l’année. En 1970, alors que l’imaginaire commun nous présente la décennie nouvelle comme vouée à la violence et la dureté, ce qui n’est pas faux – guerre au Biafra, Watergate etc –, Led Zep retourne en studio avec un désir d’ailleurs qui prendra source dans la folk des origines. III demeure sans doute avec House of The Holy, l’une des productions les plus innovantes du groupe. Au-delà d’Immigrant Song qui ouvre l’album sur un riff volcanique, de Since I've Been Loving You déchirant les cœurs – et les oreilles –, le groupe délivre des vignettes sublimes, à la fois terriennes et aériennes. Friends, Gallows Pole, Tangerine, Bron-Y-Aur Stomp et surtout That's The Way nous montrent le quatuor sous un versant sensible, délicat, presque rêveur. Options qui seront parcimonieusement réutilisées sur IV. Au-delà du chef-d’œuvre qu’est pour l’éternité Stairway To Heaven, du délicieux Going To California, Robert Plant choisit d’interpréter The Battle Of Evermore avec son âme sœur Sandy Denny (Fairport Convention). Il s’agit sans doute de la chanson la plus étrangement puissante du Dirigeable de Plomb – Lead Zeppelin selon l’expression attribuée à Keith Moon. 

Ces trois groupes opposent ainsi un cruel démenti à l’analyse selon laquelle la fin des sixties, du moins sur le plan musical, se finit dans le sang et la cendre. En partie vraie, cette assertion se heurte cependant à la réalité d’un monde musical qui tente certes de se mettre à la remorque de l’Histoire – en vérité de l’actualité – mais qui s’évertue surtout à se réinventer en imaginant des formules tous azimuts et en se rappelant celles qui auront fait la gloire de leurs grands frères – Mod, Baroque pop, Freakbeat, British Blues etc. Avec Monster, Deep Purple III et Led Zep III, 1969 et 1970 auront été deux années, ni fatidiques, ni telluriques, mais kaléidoscopiques. 

Steppenwolf :

https://www.youtube.com/watch?v=7EVE8leTG8Y

Deep Purple :

https://www.youtube.com/watch?v=ePLkI-pPCLo

Led Zeppelin :

https://www.youtube.com/watch?v=2BXk9G4ZXSI

 

 

 

 

 


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