2019, que du neuf !

par Adehoum Arbane  le 07.01.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Les tops annuels, c’est bien. Mais les tops anachroniques, c’est mieux. Mieux comme avant, au fond. Acceptons de bifurquer hors des sentiers battus des sorties de la pop contemporaine. Et laissons-nous avoir par le simple hasard. Ainsi, d’un clic à l’autre, il nous arrive chaque jour de découvrir un groupe inconnu ou, bien plus rare, l’album inconnu d’un artiste établi. Qui plus est lorsque l’on fouille dans cette malle aux trésors des sixties-seventies. La décennie 80 n’est pas en reste et réserve son lot d’heureuses surprises, cachées entre deux tubes mainstream. Sentiment de joie renforcé lorsque ces perles rares concernent des musiciens aussi pointus et lointains – et donc oubliés – que Bert Jansch pour ne citer que lui. Mais nous allons y revenir. Ce classement a tenté de tenir compte des contingences habituelles, soit dix Lp mais le pragmatisme force à faire fi de la règle. Ils sont donc quinze à l’arrivée. Toutes décennies confondues ou presque. Dans tous les genres. Commençons. 

Bert Jansch est une légende du folk anglais. Pas moins. Il débute sa carrière en 1966 sous son propre nom. Il sort dans la foulée un disque avec son vieux copain de roots, John Renbourn. Ils fondent ensemble Pentangle. Basket Of Light est leur acmé. Les deux musiciens poursuivent l’aventure, chacun de son côté. Contrairement à John qui s’adonne aux instrumentaux, Bert, lui, compose de vraies chansons. 1980. Alors qu’une nouvelle génération synthétique explose sur les ondes, le daron du folk enregistre Thirteen Down, un très grand disque méconnu enchaînant les joyaux, tous enluminés de Fender Rhodes. Ask Your Daddy sera même repris dans une publicité dont nous tairons l’enseigne. Bref, Bert est cool et fait désormais partie intégrante de la pop culture. 

Pour tout un chacun, Pete Townshend c’est les Who. Basta. En 1977, alors qu’il compte un album solo à son actif (1972), il sort ce Rough Mix avec son vieux pote des Faces Ronnie Lane, celui à qui l’on doit le magnifique Debris – entre autres. Le disque bien que détendu est tout à fait recommandable, fourmillant de chansons formidablement bien écrites et arrangées avec goût. C’est un grand disque méconnu en cette fin de décennie confuse, de ces galettes qui vous réconcilient avec l’intelligence et l’honnêteté, fait notable en ces temps de prog rock gonflé à l’hélium et de pitreries punks. 

La fin des Beatles fut un séisme et comme on peut l’imaginer, Fab et Fans ne s’en remettront jamais. Enfin presque. Si Lennon et Macca balancent des classiques estampillés 70s, George Harrison aura tout donné en un seul disque, le légendaire All Things Must Pass. Malgré une production régulière, le Quiet Beatle commet des albums dispensables jusqu’en 1979 où il amorce alors un come-back sur le circuit de la pop. Bien que découvert sur le tard, cette galette nous apparait dans sa perfection comme une réjouissante source de jouvence. Très en forme, George aligne une suite impressionnante de chansons ultra mélodiques, taillées pour les ondes… Et gravées dans nos cœurs. 

Un grand merci à Qweentiiiine Taraintinôôô qui s’offre toujours le luxe d’enluminer ses films de bandes originales ne dérogeant pas à la règle de l’originalité, donc. Dans la tracklist de son dernier film, Once Upon A Time In Hollywood, deux morceaux de Paul Revere & The Raiders, garage band à jabot pop à qui l’on doit de nombreux succès et de substantiels hymnes comme Kicks, chanson anti-drogues deux avant The Pusher de Steppenwolf. En 1969, le groupe sort Hard 'n’Heavy (with marshmallow) et le titre vaut pour avertissement. En cette année de pessimisme grandissant, un festival de crimes s’abat sur la paisible Californie. Tout cela n’entame en rien l’indécrottable optimisme de Revere qui balance du lourd mais avec du sucre. Tout est bon sans être génial, addictif sans être trop profond. On garde l’ensemble, de Mr. Sun, Mr. Moon à Call On Me en passant par Time After Time, Trishalana, Cinderella Sunshine. Un California Dreamin’ bis pour conjurer le cauchemar. 

On a déjà écrit ici sur le duo signé par Elektra, Gary Ogan & Bill Lamb. Sorti en 72, Portland contient la plus belle chanson de fin d’album. À ce propos, on pourrait largement se procurer Portland, même au prix fort, sur la foi de ce seul morceau. I Wanna Live multiplie les superlatifs : paroles incroyables, mélodie sublime, interprétation déchirante. Lorsqu’on part en vadrouille dans les forêts américaines, on prend sa bite et son couteau. Rangez votre vit et prenez ces seconds couteaux de la scène nord californienne pour leur mariage très réussi entre folk originelle et pop limpide, hymen consommée trois ans avant par CS&N. 

Pour les tocards, la country se résume à de la musique pour cow-boy du samedi soir. Funeste erreur ! Chassons de nos esprits ces bals de nordistes pratiquant la danse western quand ils ne touchent pas les allocs et les petits enfants. La Country pur jus offre un autre visage. Celui des Byrds, de Gram Parsons, de The Band, soit la grande musique américaine populaire. Dans le lot des lauréats, on oublie trop souvent The Ozark Mountain Daredevils, Les Casse-cous de la Montagne Ozark. Leur premier album publié en 1973 est un petit classique en puissance qui ajoute au répertoire traditionnel des chansons plus modernes, toutes proches à vol d’oiseau de notre pop tant aimée. Prenez Spaceship Orion et le splendide Within Without sur leur premier album. Ajoutez If I Only Knew sur The Car Over The Lake Album et vous vous ferez une juste idée de la félicité. 

Sortir des sentiers battus du rock, dépasser ses frontières anglo-saxonnes, c’est se risquer en terre inconnue. On pense Japon et on se dit « nippon ni mauvais ». Anecdotique. Que nenni ! Prenez le duo Fluid. En 1972, il sort 古井戸の世界. Comprenez The World of old wells. Quatorze titres chantés en japonais – rien de rédhibitoire – dans un style folk, emplis de beaux arpèges, parfois agrémentés d’une basse et d’une batterie, un trois fois rien qui n’altère en rien la beauté des chansons, au contraire. Les mélodies sont là, l’interprétation juste et parfois même intense. Impossible de les citer, et pour cause. ごろ寝,ろくでなし,あした引越します… Ce groupe comme tant d’autres témoigne de la vitalité de la scène musicale japonaise durant les années 70 qui ne doit rien – sinon l’essentiel – à celle de Lauren Canyon qui l’a à l’évidence inspirée. 

On connait tous les Temptations pour leur Papa Was A Rollin’ Stone. Voilà un groupe qui aura mérité son succès, proposant une copieuse discographie à cheval sur les décennies 60 et 70. L’album qui nous intéresse ici fut présenté dans un vieil hors-série de Rock&Folk sur le rock cosmique et si la chose ne saute pas aux oreilles à la première écoute, 1990 publié en 1973 – !!! – ne semble pas si éloigné que cela de la musique lysergique. Heavenly bien sûr pour son titre, mais aussi Zoom, trip minimale et formidable illustration de la pochette. Au-delà de ces considérations d’esthète,  on trouvera sur cette courte galette des chansons fantastiques comme I Need You ou You've Got My Soul On Fire. Preuve que si les Temptations n’étaient pas les boss – Norman Withfield composait tout –, ces derniers étaient de formidables ouvriers. 

10cc demeure un groupe légendaire pour I’m Not In Love blablabla. Cependant il n’est pas indigne d’affirmer que leur premier album de 1973 n’aura pas marqué les esprits. Il n’en demeure pas moins intéressant à bien des égards. Relativement embryonnaire, 10cc – c’est son nom – balance tranquilou trois hits : Johnny Don't Do It, Donna (qui fait penser à Oh! Darling sur Abbey Road) et Rubber Bullets. Ce n’est pas tout. On y trouve des morceaux matriciels comme The Dean And I, le sémillant The Hospital Song et Fresh Air For My Mama qui clôt l’album de manière magistrale. Il s’agit certes d’un brouillon mais un brouillant brillant, certes perfectible, objectif que le groupe atteindra l’année suivante avec Sheet Music ! Sheet Music mais Holy Sheet ! 

Expérience étonnante ! Vous commandez un vinyle aux USA et le vendeur vous l’envoie soigneusement calé entre trois vinyles dont un qui retient ici notre attention. Let It Flow (1977) de Dave Mason – ex Traffic – ne bouleverse pas le rock des quarante dernières années, il n’en demeure pas moins d’une efficacité redoutable, avec des hits en cascade, des rocks bien tournés, louchant parfois vers la soul. L’album contient aussi son petit chef-d’œuvre grandiose, Mystic Traveler. Il y a beaucoup de similitudes entre ce disque et celui de Steve Winwood sorti la même année. Ce dernier possède aussi son lot de morceaux groovy et une ballade somptueuse, Midland Maniac. Vous voulez un scoop ? Steve et Dave étaient les vrais boss de l’année 1977. 

On doit à Procol Harum le premier slow de l’histoire de la pop, A Whiter Shade of Pale (Avec Nights In White Satin des Moody Blues). Cultivant une élégance surannée fort peu en accord avec les canons du psychédélisme alors en vogue à Londres, le groupe trouve son rythme de croisière sur le bien nommé A Salty Dog. Au début des années 70, leur gloire pâlit un peu et, progressivement, le groupe sort des scopes jusqu’en 1974. Année de sortie de Exotic Birds And Fruit, lequel réserve encore quelques beaux moments : Nothing But The Truth qui ouvre le disque suivi du trio imparable Beyond The Pale, As Strong As Samson et surtout The Idol. Une claque ! Il faut dire que Gary Brooker chante à merveille et joue admirablement du piano, l’instrument roi de la pop. La face B est plus hétéroclite mais ne démérite pas. C’est sur ces feux agonisants que commencera le lent crépuscule du groupe.

Comme mentionné plus haut, John Renbourn fut le camarade de Bert Jansch. Moins inventif que son compagnon, Renbourn ne mène pas pour autant une carrière déshonorante. En 79, il sort The Black Balloon. À l’image des films muets, un album instrumental – et celui-ci en est un – se doit d’être expressif parfois jusqu’à l’excès. Ici, les thèmes joués nous propulsent paradoxalement à une autre époque musicale où affleurait la délicatesse, celle de Purcell. Rarement une telle musique n’avait été aussi raffinée. On reconnait là le style anglais, cette forme de musicalité toute particulière et qui n’avait d’ailleurs à l’époque aucun équivalent. L’album oscille entre morceaux courts, tantôt dansants, tantôt mélancoliques, et longues fresques où la flûte s’invite, venant enrichir la grammaire musicale de Renbourn. 

Qui a attendu parler de The Floating Opera ? Question somme toute cruelle mais nécessaire. Jeff Tweedy, leader de Wilco, apparemment. Photographié chez lui à l’occasion d’une interview pour Rock&Folk, on voit le musicien poser devant sa bibliothèque. Dans un rayonnage, un vinyle, celui de Floating Opera, obscur groupe américain vaguement estampillé psychédélique et prog. La longueur des morceaux et la variété des climats expliquent sans doute ce curieux positionnement. On parlera plutôt de pop, impression largement renforcée à l’écoute du morceau d’ouverture, Song Of The Suicides. C’est une chanson impressionnante et qui aurait dû valoir au groupe un succès phénoménal d’autant que la production n’est guère tapageuse. Le reste est à l’avenant, mais on préférera les morceaux moins ouvertement "rock" comme Midnight, Fever Day, Crack On The Wall ou encore Angelfood Cake Song. 

Fleetwood Mac est le groupe de tous les schismes, des querelles de snobs. Quelle période doit-on préférer ou mépriser ? British Blues ou rock FM ? Et si on tranchait à la sauce macronienne ? Le petit contingent d’années entre 1971 et 1975 compte quelques disques incroyables dont Mystery To Me que le groupe grave en 1973 après une superbe série (Future Games, Bare Trees). Malgré une pochette atroce – la pire de toute l’histoire de la pop ? –, on prendra un réel plaisir à écouter des chansons aussi différentes que Emerald Eyes (signé Bob Welsh), Just Crazy Love (Christine McVie). D’ailleurs, les deux songwriters se partagent les crédits, chacun y allant de son petit chef-d’œuvre. Le fabuleux Hypnotized pour Bob, le tendre The Way I Feel pour Christine. Mais c’est sans doute Welsh qui, débarrassé de l’encombrant et talentueux Danny Kirwan, se taille la part du lion. En atteste Keep On Going qui sonne comme un Marvin Gay produit par un Jean-Claude Vannier, littéralement transcendé par la voix de velours de Christine McVie. 

Alan Hull ne dira rien à personne, pas plus que le groupe dans lequel il a œuvré : Lindisfarne. Pourtant c’est un des piliers de la scène folk anglaise de la fin des années 60. Pipedream (1973) est son premier projet en solo et déjà, le talent de songwriting du bonhomme se fait entendre. Là encore, il convient de dépasser la pochette (un tableau de Magritte pourtant) et de se concentrer sur les douze chansons. Moins folk tradi, le disque sonne comme du très honnête rock des seventies. En poussant l’écoute, on y trouvera des merveilles comme Breakfast qui débute la face A, Money Game à la douce folie, l’instrumental STD 0632 qui fait songer à du Neil Young période Harvest, United States Of Mind et Drug Song. On se surprend surtout à apprécier la voix si singulière d’Alan Hull, parfois chevrotante, poussant souvent dans les aigues, mais qui jamais ne dessert ses compositions. Un très beau disque qui à chaque fois donne envie de réécouter Nicely Out Of Tune et Fog On The Tyne. 

On ajouter à cette longue liste, le titre le plus obsédant de la fin d’année : Burn The Bridges de Spirogyra. Et la chanson la plus caracolante qui soit : If This Is Love de Glen Campbell, extraite du non moins génial Galveston. Quant aux sorties officiellement estampillées 2019… 

 

 

 

 

 


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