Supertramp, storytelling

par Adehoum Arbane  le 17.12.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

1978, Supertramp arrive à un stade crucial de sa carrière. Achever sa mue artistique et sortir l’album de sa vie. Celui qui restera. Le disque éternel que des générations d’auditeurs pop se passeront en boucle – puis de la main à la main. Un album à tubes, un potentiel disque d’or, voire plus, soyons fou. De manière plus prosaïque et pour servir ce but, le groupe doit comme on disait en ces temps pré-metoo pénétrer le marché américain, sésame pour la célébrité. Voilà pourquoi il a décidé depuis Crisis? What Crisis? de s’installer à Los Angeles pour y enregistrer ses disques. Et pour incarner son rêve américain à lui, quoi de plus logique au fond que d’écrire un album biopic. Bien que non prouvée, la théorie osée mérite que l’on poursuive. Poursuivons ! 

Un biopic commence forcément à Hollywood et cela tombe bien, Supertramp nous y emmène dès son premier morceau : Gone Hollywood, donc. Mais un album biopic se doit de raconter une réalité en sur-jouant bien souvent ses moindres aspects dramatiques. Ce que fait Rick Davies ; il peut, il en est la plume. Il s’épanche sur Gone Hollywood et sans retenue, ce qui a de quoi étonner quand on songe qu’une chanson d’ouverture se doit d’être séduisante, catchy. Ce qu’elle fait de manière assez efficace – les chœurs – avant de sombrer dans le pessimisme d’un britannique découvrant que le Hollywood légendaire n'est plus. Présenté comme le slow ultime, The Logical Song raconte l’adolescence de Roger Hodgson avec une fois de plus cette idée d’éloignement – comme le vit le groupe depuis l’année 75 –, le doute existentiel qui est le dénominateur commun de l’enfant, de l’homme et de la rock star. Là encore, le savoir-faire du groupe fait des merveilles.  Comme dans tous les classiques hollywoodiens, Hodgson a enclenché le mode Lacrymal Song. En témoignent ces clapping hands au moment où l’orgue Hammond surgit avant de laisser place au saxo félin et chromé de John Helliwell. À ce stade, la production apparait dans toute sa splendeur, pareille à un étalonnage cinq étoiles. Goodbye Stranger parle des étrangers que nous sommes l’un pour l’autre quand les liens amoureux se distendent. Mais c’est aussi une chanson – accessoirement de Rick Davies – qu’on pourrait décoder d’une autre manière, comme l’acceptation de tourner le dos à son ancienne vie. Adieu cette Angleterre qui leur est devenue si étrangère et bienvenue à cette Amérique moins ingrate qui leur déroulera le tapis rouge. Plus vulgairement, Davies narre en sous-titre la difficile relation qu’il entretient avec son complice d’écriture. Côté musique, le biopic oblige à respecter quelques règles : pimenter l’action de quelques ingrédients identifiables. Soit du rock – à tendance blues, on est aux States oui ou non ? – dont Rick Davies se fait le zélateur naturel bien que ses chansons ne manquent ni de charme ni de refrains mémorisables. La pop mélancolique quant à elle va comme un gant à Roger Hodgson dont la voix se fait le parfait véhicule, de classe américaine bien évidemment. Car le bonhomme aspire lui aussi à la consécration. Une  envolée vers les charts qu’il souhaite aussi rapide qu’un Jumbo Jet. La première face se referme sur Oh Darling qui n’a rien à voir avec la chanson des Beatles mais qui joue avec une classe folle la carte – de producteur hollywoodien – de la sentimentalité. Davies en profite pour glisser dans son texte un « I’m gonna be so busy » qui augure de son futur labeur en studio. Et nous en arrivons à la seconde face ou partie de cet album biopic. Prétendre enregistrer l’Album ultime, l’usine à tubes – et c’est le cas ici – nécessite d’abord de s’investir pleinement en studio, de ne plus voir la lumière du jour (ou de la nuit) que pour les pauses clopes, mais également d’envisager de longues tournées pour promouvoir l’œuvre créée. Tournées qui vous éloignent de la maison, fut-elle californienne, ce que pourrait peut-être raconter Take A Long Way Home signé Hodgson, qui sait ! Pour l’occasion, le songwriter enfile les habits du chanteur pop enjoué.  Car l’homme en revient vite à ce qu’il sait faire, la prière larmoyante mais au combien touchante. Lords Is It Mine lui offre la possibilité de placer un petit « I never cease to wonder at the cruelty of this land ». Land pour "terre" ou pour "pays" ? Il pourrait s’agir de la seule concession à un genre typiquement américain, le Social Drama. Sur Just Another Nervous Wreck, Davies chante perfidement « I could have made a fortune/I lost the craving for success »alors que lui et Hodgson savent que la réussite, l’accomplissement seront au rendez-vous. Ils ont tout fait pour et cela s’entend. Mais comme dans un mélo, Davies cabotine jusqu’à la nausée, non sans talent, en fait des tonnes façon kid de Chaplin, de même qu’il chouine dans Casual Conversations. Personne ne l’écoute, ne reconnait son talent. Ces gars-là sont des génies ou des cyniques, voire les deux. Puis arrive Child Of Vision en guise de non happy end. C’était à l’origine le morceau prog du disque, le grand final, l’apothéose. Ce qu’il est, à l’évidence. Mais cet Enfant Visionnaire qui doit trouver une nouvelle ambition à se mettre sous la dent, n’est-ce pas la métaphore du groupe, de Supertramp, qui a mis dans son moteur une bonne dose de Coca Light pour faire pleurer si magnifiquement la pop et cracher les dollars ? 

Vous l’aurez compris, Breakfast In America n’est qu’un prétexte servant à conter la genèse de cet album hors norme, petit-déjeuner plantureux aiguisant encore les appétits quarante ans après. Dans cet album biopic, on rit, on pleure, on tremble, on vibre, on s’identifie ! Tout y est emphatique, boursouflé, blockbusté. Enfin, parce que nous sommes à Hollywood, le disque se transforme très vite en phénomène planétaire avec quatre millions de copies vendues et des singles à la pelle, bandes-annonces idéales à son service ! Le plus étonnant dans cette story à la sauce US tient au fait que Breakfast n’aura pas d’acte II valable, voire de postérité. Malgré It’s Raining Again et Don’t Leave Me Now, Famous Last Words peine à s’imposer. Quant à son illustre prédécesseur, il restera quand même pendant un an numéro cinq aux États-Unis, numéro deux en France et number one en Australie ! De quoi y revenir comme dans un buffet à volonté. Enfin, pour les maigrichons et autres ronchons, notons qu’il leur reste le biopic, un vrai lui, sur Elton John. 

Supertramp, Breakfast In America (A&M Records)

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https://www.deezer.com/fr/album/219184

 

 

 

 

 


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