Kanye West, OMG !

par Adehoum Arbane  le 24.12.2019  dans la catégorie A new disque in town

À un moment de l’Histoire où tout sentiment de religiosité esquissé, voire exacerbé, peut inquiéter. À une époque où le principe même de foi est moqué par les ricaneurs médiatiques. À l’heure où le matérialisme effréné nous éloigne du spirituel. À cet instant très précis donc, un artiste a choisi d’assumer son message. Il ne s’agit pas de n’importe quel artiste. On parle de Kanye West. Rappeur un brin falot, souvent vulgaire et comme tous ses homologues, souvent attiré par les productions clinquantes et les punchlines grossières. Et pourtant, Kanye West fait partie de ces musiciens qui se sont tournés vers la foi pour délivrer ensuite, dans une sorte d’illumination cathartique, de grands albums. Inutile d’en dresser la liste, ce serait vain. Et s’il était judicieux de confronter West avec un groupe qu’il n’a sans doute pas connu – l’homme est né en 1977 – et qu’il ne connaîtra jamais du fait du cloisonnement culturel propre à notre temps. Gardons-nous de citer cette formation mystère. 

Mais revenons au rappeur. À Kanye West. Discographiquement parlant, le performer a surgi en 2004. Avec un album très vite certifié double disque de platine – trois millions quatre cent mille copies vendues. Le succès ne va pas décroitre, loin s’en faut. Yeezus aurait pu être un baptême mais non. Le titre étant la contraction de Yeezy, le surnom de West, et de Jésus. Il faut attendre 2019 pour que le rappeur reçoive l’onction philosophique et spirituelle. Jésus Is King annonce la couleur si l’on dire. Tout du moins l’album embrasse-t-il la foi avec une honnêteté confondante. Peut-on parler de rap chrétien pour autant ? Non. C’est bien une déclaration d’amour au messie que Yeezy adresse non sans briser quelques codes. L’album s’ouvre sur Every Hour, un gospel. L’artiste s’inscrit dans la tradition, et assume. Selah lui emboîte le pas. S’ouvre alors un chemin de Damas entre rap et soul. Les arrangements n’ont jamais été aussi minimalistes, et donc intenses. Premier constat. La révélation divine lui aura permis de sortir de l’ornière artistique dans laquelle il batifolait depuis ses tonitruants débuts. Le meilleur chez Kanye West survient lorsqu’il abandonne les territoires connus du hip hop pour embrasser un classicisme jugé trop souvent comme suranné. Paradoxe ultime qui le voit faire d’une culture qui fut sienne – la soul – et qu’il avait cependant négligée, une véritable réappropriation culturelle. Ainsi, même si Follow God décline un sample des plus cools, le morceau renoue avec un rap bon ton tout comme On God dans une version encore plus postmoderne. Closed on Sunday et God Is sont autrement plus intéressants. West se risque à chanter et se montre ainsi sous un jour plus touchant, au-delà de certains traitements vocaux comme autant de péchés de jeunesse. On peut cependant le dire sans se dédire : Kanye West a réalisé un disque qui fera date. Dans ce domaine, il n’est cependant pas le premier.

Prenons le cas de Spooky Tooth. On ne peut pas réellement dire que Gary Wright, leur principal compositeur, soit devenu chrétien pendant la genèse de Ceremony, le troisième album du groupe. Le projet était initialement celui du compositeur de musique concrète Pierre Henry. Ce dernier voulait un groupe de rock pour l’accompagner, il avait porté son choix sur Spooky Tooth, second couteau de la nouvelle vague pop psyché anglaise. Quand il écoute le mix final, le musicien français est tellement impressionné qu’il conseille au groupe de le sortir sous son propre nom. Mais revenons à la démarche, préalable à cette étonnante création. Pierre Henry n’a jamais réellement considéré la foi chrétienne comme une épiphanie mais l’art religieux semble l’avoir constamment fasciné. En témoigne sa Messe pour le temps présent. Au-delà de ses inspirations, l’homme avait pour religion celle du son que l’on entend bien évidemment sur Ceremony. Quant à Gary Wright, on peut affirmer qu’il aura vécu une révélation à l’envers. Écrire ce disque – qui a précipité la chute du groupe – l’aura mené droit vers le Créateur comme en témoigne sa chanson de 1975 Dream Weawer inspirée par le poème d’un moine hindou God! God! God!. Constitué de six titres, faisant tous références à la prière, Ceremony a de quoi dérouter. Il renvoie presque à In The Court Of The Crimson King pour sa musique drapée dans la noirceur. D’une durée dépassant les standards en vigueur dans la pop – et pour le groupe –, les morceaux sont tous d’égale qualité. Il y a des moments forts, l’apport de Pierre Henry n’y étant pas étranger. Jubilation, ses collisions sonores et son bégaiement samplé, apparaissant subrepticement et poissant le malaise, en font partie. Prayer s’impose comme une ballade sublime, avec son orgue et sa guitare acoustique. Hosanna enfin, qui referme le disque sur des accents pré-Deep Purple (période Ian Gillian). Enrobé dans une pochette crucifixionnelle, c’est un chef-d’œuvre qui arrive dans les bacs. 

Certes, vous me direz que les deux albums n’ont rien à voir, stylistiquement parlant. Au-delà même des cinquante ans qui les sépare, ils montrent à quel point un simple « I believe in God, almighty father/Maker of Heaven and Earth and all things/Visible and Invisible/I believe in Christ the begotten son/Born of the father before time began »peut inspirer les œuvres les plus authentiquement mystiques. Preuve que Dieu, où qu’il soit, qui il soit, existe bel et bien. 

Kanye West, Jesus is King (Def Jam Recordings)

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https://www.deezer.com/fr/album/116355212

Spooky Tooth, Ceremony (Island)

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https://tinyurl.com/rwaoete

 

 

 

 

 

 

 


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