Dave Mason, Macronpatible

par Adehoum Arbane  le 26.11.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Le macronisme n’a pas été créé, comme on aurait tort de le croire, en 2017 voire l’année précédente. Il remonte à une époque beaucoup plus lointaine, bien au-delà de la naissance dudit président auquel le terme fait référence. Cette philosophie si l’on ose dire pourrait être datée, par carbone 14, en 1977. Nous sommes alors en plein Giscardisme, le gouvernement Barre mark II succède au gouvernement Barre Mark I, comme Deep Purple huit ans auparavant. Les réformes se font au pas de charge, la France se transforme progressivement, laissant derrière elle le gaullisme ancien, devenu dès lors une valeur refuge. Sur le plan musical, 77 voit l’agonie du rock prog, mouvement bedonnant aux prétentions bouffies, qui cède la place aux jeunes punks anglais et américains. Dans ce contexte de chaos généralisé, un musicien continue son petit bonhomme de chemin, impassible : il s’agit de Dave Mason. 

Dave Mason est avant tout un des membres fondateurs de Traffic, aux côtés de Steve Winwood, Chris Wood et Jim Capaldi. Traffic, c’est la jeune garde qui couvait dans le giron des Beatles période Sgt. Pepper’s. Dave Mason imprime son style sur les trois premiers albums – Mr. Fantasy et Traffic étant les meilleurs – avec des titres du calibre de Hole In My Shoe – single de lancement –, House For Everyone, Utterly Simple, Hope I Never Find Me There sur le premier et You Can All Join In, Don't Be Sad, Cryin' To Be Heard et surtout Feelin' Alright?, repris deux plus tard par le jeune Joe Cocker lors de la tournée Mad Dog and Englishmen. À l’époque, l’élan psychédélique au sein du groupe, c’est lui ! Sur Last Exit, on lui doit le délicieux Just For You qui ouvre l’album. Puis il quitte le groupe pour se lancer en solo. C’est peu dire que la rampe fut quasi plane et l’envol fort long pour Dave Mason. Un premier album en 1970, Alone Together, titre lourd de signification quant à la prise de risque. Tout au long de sa carrière durant les seventies, il donne dans un rock tradi bien ficelé, avec parfois des éclats de lumière. En 71, il s’associe avec une des figures légendaires de la sunshine pop californienne, Mama Cass Elliot. On peut y entendre de belles choses comme Sit and Wonder ou On and On. Sans génie, Mason ouvrage cependant des chansons efficaces, parfois grandioses. Les disques s’enchaînent jusqu’en 1977 donc, l’année de sa création macroniste, Let It Flow. Laisse couler. Il s’agit avant tout de son plus gros succès. Il rafle tout. À l’image de celui qui l’aura sans le savoir inspiré, personne n’avait vu venir Dave Mason. Par ailleurs il fait irruption avec un disque qu’il n’a qu’à moitié écrit. Si ses morceaux comptent parmi les plus belles réussites du disque, les compositions qu’il interprète ne déméritent pas. Bien au contraire, elles donnent au disque son ossature, son matelas de sécurité. Ainsi We Just Disagree atteindra la douzième place dans les charts US. Le refrain est éclairant d’une envie de ne point trop se mouiller, d’incarner un axe central dans le trépidant monde de la pop : « So let's leave it alone 'cause we can't see eye to eye/There ain't no good guy, there ain't no bad guy/There's only you and me and we just disagree/Ooh ooh ooh, oh oh oh ». Instinctivement, Mason comprend que pour plaire il faut élaborer un savant dosage entre classique et innovation – de façade – même si certains des titres les plus « ambitieux » tranchent par leur splendeur affichée. Ainsi va Mystic Traveler débutant sur des arpèges touchants. Le morceau oscille en ballade folk et pop orchestrée – le pont chatoyant – et la longueur lui donne l’ampleur nécessaire pour en faire un classique (collé en face B de We Just Disagree). Mystic Traveler préfigure ainsi le marcheur de la cour de l’ancien palais royal. La suite ne dépareille pas cette entame réussie. Spend Your Life with Me se déploie dans son emphase soul, magnifiquement arrangé et chanté. Takin' the Time to Find referme cette face A sur une note très funk, détail peu étonnant compte tenu de l’époque ; on est aussi en plein vague disco et Prince va bientôt faire son entrée. Le titre ressemble à s’y méprendre à du Clapton inspiré, donc période Layla, avec son orgue bouillonnant, sa trame musicale caracolante et ses chœurs soul. 

La deuxième face débute sur un hymne macronien, de ceux que l’on aurait pu entendre en pleine campagne. Let It Go, Let It Flow, Laisse Aller, Laisse Coulercomme dit plus haut, laissant loin derrière les malheureux candidats empêtrés dans la déveine. Mason semble lui aussi marcher sur les eaux, sorte de Jésus chanceux ; Let It Go, Let It Flow est son quatrième single. C’est l’hymne parfait des jeunes impétrants, quoique naïfs, mais à qui tout sourit et qui pensent changer le monde. Then It's Alright pourrait donner raison à Mason et à ses successeurs, même si les paroles sonnent comme un avertissement : « Two heads are better than one/Just like stars shine brightest at night/Look at the fool on the run ». encore, la chanson s’impose comme un hymne soul parfaitement pensé et orchestré, avec ses chœurs triomphants. Seasons reprend les atours de la grande ballade sentimentale dont Mason s’est fait le spécialiste. Il chante d’ailleurs avec des accents Winwoodien. Une fois de plus, ce sont les textes qui expriment le mieux ce penchant pour un macronisme falot et bon ton, joliment insipide, faussement novateur mais au combien séduisant : « Seasons come seasons go/That's the time that our love grows/You and I want to know/Rivers dry and love will flow ». L’album s’achève avec You Just Have to Wait Now et What Do We Got Here ?, sorte de chanson du diable à la Santana, entre bossa et jazz, tout en Fender, percussions, cordes et flûte, interprétée par son auteur, le guitariste Jim Krueger. 

Jamais Dave Mason ne retrouvera un tel moment de grâce même s’il vivra quelques instants fugaces comme ce Save Me daté de 1980, co-interprété avec Michael Jackson, coincé entre Off The Wall et Thriller donc à son firmament. Il continuera de produire sans rentrer dans les scopes de la reconnaissance. On espère que le jeunot susmentionné suivra la même route. Sinon, un seul mot d’ordre : Let It Go, Let It Flow. 

Dave Mason, Let It Flow (CBS)

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https://www.deezer.com/fr/album/1212924

 

 

 

 

 


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