10cc, seriously ?

par Adehoum Arbane  le 12.11.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

De tous les groupes pop, 10cc est sans doute celui qui est le plus traversé par l’esprit de parodie. Il ne semble pas être le seul sur ce créneau. Déjà, durant les sixties fleurissent des groupes surfant sur la vague Beatles – Les Monkees –, ou mêlant cabaret, comique troupier et pop dans la pure tradition britannique – The Bonzo Dog Doo-Dah Band – sans même évoquer les inventions de circonstance – les Rutles, Spinal Tap. Les musiciens de 10cc ne font pas à proprement parler dans la gaudriole, ce ne sont pas les Mothers Of Invention anglais. Ils arrivent cependant à un moment de l’Histoire où tout a été quasiment écrit, même si l’un de ses leaders, Graham Gouldman – qui n’est pas l’aïeul de Jean-Jacques –, est à l’origine de quelques tubes éclatants comme No Milk Today et For Your Love. Par ailleurs, le groupe commence sa carrière tardivement, en 1973, en pleine vague prog de surcroit. Leur formule à quatre têtes et huit mains va pourtant les propulser vers le nirvana de la reconnaissance. Mais revenons à cette année.

1973 donc. Millésime où 10cc sort son premier album sans titre si ce n’est ce patronyme étrange qui fait couler – hum hum – beaucoup d’encre. S’agit-il de la semence expulsée par un homme au meilleur de sa forme, symbole de Pouvoir ou fait-il allusion à un rêve de leur manager, voyant s’affichant en lettres flamboyantes cette phrase sur le front du Hammersmith Odeon : « 10cc, the Best Band in the World ». En attendant que les augures se réalisent, le groupe entre en studio fort de ses nouvelles chansons dont chaque musicien se partage les crédits, à la manière de leurs ainés Moody Blues, il est vrai dans un genre différent. C’est sur une note rétro que 10cc livre ses premiers singles, dont Johnny Don't Do It placé en ouverture et Donna, hommage au doo-woop revitalisé quelques années auparavant par Zappa. Sur The Dean And I et Fresh Air For My Mama, 10cc envisage l’avenir, le leur. Le premier dispense avec allégresse ses chœurs graves et théâtraux, typiques de leurs futures chansons, quant au second, il explore une veine chère au groupe, la ballade. L’année d’après, Sheet Music peaufine la formule 10cc avec quelques pépites au programme : The Wall Street Shuffle, Clockwork Creep, Silly Love, le long Somewhere In Hollywood et The Sacro-Iliac pour ne citer que ces chansons. Puis vient l’année 1975 et l’album qui inaugure la courte période de la maturité. S’il ne saute pas immédiatement aux oreilles – ni aux yeux, de par sa pochette moins évidente et graphique que les suivantes – The Original Soundtrack, qui nous intéresse ici, possède bien des aspects fondamentaux du style 10cc : parodie et emphase. Il les mêle avec un talent certains, ce qui déconcerta sans doute public et critique. Il y a d’abord ce concept de fausse bande originale. Une nuit à Paris, en français dans le texte, ouvre le disque et s’étire sur plus de huit minutes. Malgré la prétention affichée, assumée, cette mini-opérette touristique renvoie aux comédies musicales américaines où Gene Kelly et autres Fred Astaire tenaient la vedette. Loin du cow-boy s’affichant en couverture. Ce qui n’empêche pas ce morceau à la mélodie d’une pureté cristalline de briller de la première à la dernière seconde. Nous sommes bien dans un univers réinvesti, imité, pastiche en tout point maîtrisé. Comme pour briser cet élan, le groupe enchaîne sur un slow – mais quel slow ! – dont la pochette du pressage français arbore un prophétique Spécial discothèque. C’est le climax du disque, et nous n’en sommes qu’au deuxième titre ! I’m Not In Love, comme un phare dévoilant dans la pénombre épaisse une biche apeurée. La chanson entre de fait dans la légende et pour plusieurs raisons. Un, c’est une ballade mélodiquement imparable, de celles qui vous appellent sur la piste et auxquelles on peine à résister. Deux, c’est un morceau qui a dix ans d’avance. On ne s’en rend pas compte immédiatement, mais les claviers et les chœurs enregistrés et mixés en boucles sur des bandes – 48 voix au total – créant ce magnifique tapis sonore, moite et vaporeux, préfigurent les 80s. Idéal pour tenter tous les rapprochements possibles. Trois, les paroles racontent une non histoire d’amour (enfin presque), thème hautement houellebecquien. Quatre, le pont où la réceptionniste des studios IBC de Londres, Kathy Redfern, susurre d’une voix bienveillante et maternelle "Be quiet, big boys don’t cry"comme si elle voulait montrer inconsciemment que l’accusation de virilisme est bien une construction idéologique. Blackmail reprend la main, sorte de pop song funk en diable, annonçant les chansons de Deceptive Bends. La face B s’ouvre sur The Second Sitting For The Last Supper, un modèle du genre démontrant le génie de 10cc. Le morceau débute sur un riff hard puis s’embarque dans un couplet à la splendeur pop pour reboucler sur un refrain dont la toute fin renoue avec les motifs hard du début. Brand New Day est une chanson atmosphérique, à la fois majestueuse et minimaliste. Ici, on est moins dans la parodie que dans la pureté sentimentale, comme au moment de I’m Not In Love. Flying Junk décline la veine rock dur de The Second Sitting For The Last Supper mais avec des accents mélodramatiques. Deuxième single extrait de l’album, Life Is A Minestrone ne brille pas par sa complexité, il n’en demeure pas moins que son efficacité, du couplet au refrain jubilatoire, fait le job ! Quant au titre, il a tout de l’expression universelle qu’on se transmet de génération en génération. Si The Film Of My Love sort à nouveau sa carte référentielle, il s’impose comme un final touchant. 

En résumé, c’est une confirmation à la fois audacieuse et crédible qui va préparer le terrain à How Dare You!, leur chef-d’œuvre. Il est probable que 10cc ait souffert de la monstrueuse ambition des seventies, surtout au regard de ses contemporains de l’époque – Yes et Genesis en tête. Cependant les musiciens montrent sur cet album un goût prononcé pour la pop ouvragée dans la grande tradition des Beatles dont ils se réclament, à l’évidence Rubber Bullets sur le premier Lp). Une bande sonore certes, mais originale, fortement émotionnelle et au final éternelle. Retenez vos larmes, big boys don’t cry

10cc, The Original Soundtrack (Mercury)

lp.jpeg

https://www.youtube.com/watch?v=zbXct9I2JXA

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top