Weyes Blood, beauté plombante

par Adehoum Arbane  le 16.07.2019  dans la catégorie A new disque in town

Existe-t-il des dépressions heureuses ? Une version plaisante de Christine Angot ? Alors donc que Christine Angoisse, Natalie Mering, elle, rassure et cajole, enveloppe les sentiments les plus arides dans le voile de son timbre qui, à l’image de la pochette de Titanic Rising, flotte dans les profondeurs océaniques. Ce titre d’abord. Que l’on traduirait par Montée Titanesque mais que l’on pourrait décoder autrement, comme le Titanic parvenant à s’arracher à la lourdeur des flots. C’est un peu ça l’adolescence, sujet dont il est ici question : un rollercoaster émotionnel, une échelle de petites victoires menant à un toboggan d’ivresses et d’émois. Ces tourments abyssaux qui ne parlent qu’à la jeunesse occidentale ont été ceux de Weyes Blood.  Ce disque les raconte de long en large et en travers. 

À l’écoute de ces dix chansons, on songe pêle-mêle à Robert Wyatt dans Rock Bottom, mais aussi aux bricolages visuels de Michel Gondry dans Eternal Sunshine of The Spotless Mind comme si Natalie Mering – et le réalisateur – parvenait à faire passer la pilule amère de l’adolescence avec une grâce infinie, faire oublier un passé contrarié par des parents chrétiens plus que pratiquants. Certes, le fait d’aller à la messe, de chanter cantiques sur cantiques, a permis à la jeune fille de se faire la voix, du moins de lui conférer une solennité en parfait accord avec son sujet. Musicalement, elle opte pour la grammaire de la pop à grand spectacle, celle des pianos qui tapent du pied, qui battent le rythme autant que le pavé. Mais elle le fait en lorgnant vers ce son mainstream presque dilué, informe que l’on retrouve telle une trame tout au long du disque. Une volonté à l’heure d’évoquer des années qui nous aurons tous forgées. Quoi de mieux qu’une production trouble lorsque l’on convoque les fantômes de sa propre jeunesse. Parlons-en. Sans tomber dans la psychanalyse de comptoir, le propos cache son lot de questions aussi insondables que les douleurs (A Lot's Gonna Change, Something to Believe), d’amours impossibles (Andromeda, Everyday). La première face est imparable. Superbement écrite et interprétée. Mering touche à l’universel à travers ces quatre premiers titres alors que l’instrumental Titanic Rising la referme dans une aurore ou un couchant synthétique, on ne sait plus très bien. Movies est un tourbillon au ralenti, comme si l’auditeur était pris dans l’œil du cyclone mais sans jamais voir son corps se distordre sous les courants venteux qui menacent de tout dévaster. Nous parlions plus haut de Gondry mais chacun, avec ses références, serait tenté de se montrer au travers de quelques films. Citons sans plus s’y attarder Virgin Suicides et Donnie Darko au rayon des ovnis post-adolescents mais qui en disent long sur ce qu’est la jeunesse quand on la vit intensément. Trop. Mirror Forever poursuit dans cette exploration aux recoins de pénombre, comme dans un film d’horreur où un mauvais souvenir pourrait surgir d’un placard ou attendre dessous votre lit. Wild Time renoue avec la fausse insouciance du début, cette lumière tamisée qu’on peine à identifier. Il s’agit pourtant d’une merveille pop. Au refrain énorme. En allant de l’avant dans l’analyse, n’est pas Freud qui veut, osons affirmer que Natalie Mering embrasse l’idiome pop – sous le patronage de Jonathan Rado de Foxygen et du mythique label Sub Pop – pour envoyer un dernier message à son père tyrannique, Sumner Mering, lui aussi singer-songwriter. Ce dernier publia en 1980 un album sobrement intitulé « Sumner » où il arbore un physique de star à la Stewart Copeland – le batteur de Police. Là où Sumner échoua, Natalie réussit à se hisser plus haut, à un niveau qui lui promet la reconnaissance de ses pairs et du public. C’est-à-dire le succès, le vrai, celui qui se compte en disques vendus. Picture Me Better pourrait aisément le sous-entendre si l’on était cynique. Comme l’instrumental Tinatic Rising, Nearer to Thee referme cette face b sur une note majestueuse, reprise du thème inaugural sous la forme d’une musique de chambre, celle noyée de l’artwork

Quelle leçon peut-on en tirer ? Que pop mainstream et sincérité font plus que bon ménage. Quand elles sont bien combinées, celles-ci peuvent donner de grands disques – américains en l’occurrence – qui tiennent la longueur et s’inscrivent dans l’Histoire. La petite dans la grande demeure pour Weyes Blood la martingale du cœur qui aura su toucher le plus grand nombre. Comme quoi, même chaussées de semelles de plomb, certaines chansons sont appelées littéralement à s’envoler ! 

Weyes Blood, Titanic Rising (Sub Pop)

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https://www.deezer.com/fr/album/92284312

 

 

 

 

 

 

 


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