Les Stones, page blanche

par Adehoum Arbane  le 11.06.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Le progressisme arrogant devrait s’estimer heureux. Car un retour aux sources est toujours précédé d’un intense moment d’innovation. C’est l’éternelle alternante gauche-droite, avant-garde et classicisme etc. Ordre des choses qui s’applique aussi et fort heureusement à l’art, et plus précisément à la musique. Regardez l’année 1970 qui a vu nombre de formations psychés virer folk ou country, voire les deux, après trois années d’harassantes expérimentations et de jusqu’auboutisme drogué. Les Stones auront été tout simplement les premiers à opérer ce changement de cap, ce tournant de la rigueur si l’on ose dire. C’était en 1968. Le 6 décembre pour être exact.  

Car si Beggars Banquet marque le retour des Rolling Stones dans le giron du blues traditionnel qui les as vus grandir et rouler vers leur propre destin, ce banquet-là ne manque ni de sel ni de piquant. Donnant corps au fameux "c’était mieux avant", le groupe a le génie d’un faire une promesse d’avenir. Ce savant mélange entre blues authentique et rock sexy constituera sa marque de fabrique pour les dix années à venir et verra la naissance de plusieurs chefs-d’œuvre – Let It Bleed, Sticky Fingers, -Exile on Main St. – dont Beggars Banquet inaugure la "longue" série. Légère digression, c’est la dernière apparition discographique et fantomatique de Brian Jones qui joue ici et là de quelques instruments ; l’ange blond des Stones était déjà, tel un Syd Barrett bluesy, parti ailleurs. Le septième album des Pierres Qui Roulent – septième merveille du monde – s’ouvre sur le dantesque Sympathy For The Devil, véritable matrice pour le rock tradidu futur qui sera remixé, ô ironie, par 2 Many DJ’s. Sur un tapis de percussions, rythmés par la voix dépravée de Jagger et les chœurs du groupe, accompagné pour l’occasion de Anita Pallenberg, Marianne Faithfull et de leur producteur fétiche, l’incontournable Jimmy Miller, ce boléro du diable s’étale sur plus de six minutes exténuantes mais grandioses, laissant l’auditeur littéralement terrassé, à peine la ligne de départ franchie. La suite est une longue et puissante exploration des racines stoniennes, dominée par la guitare acoustique de Keith Richards et la slide de Brian Jones. No Expectations et Jigsaw Puzzle comptent parmi les moments les plus intenses de cette première face. Jamais ces musiciens jadis branleurs, maintenant besogneux, n’avaient aussi bien joué. D’autant qu’en rusés rockeurs ils savent bien s’entourer comme ici avec Nicky Hopkins qui assure les parties de piano. La face B démarre sur Street Fighting Man qui faisait formidablement écho aux événements de l’année, en France comme ailleurs. Sans jamais déséquilibrer leur album, les Stones nous décochent l’un de ces titres dont ils ont le secret. Admirablement bien enregistré, Street Fighting Man se voit enluminé par un sitar discret entre les mains expertes de Brian Jones (on pense aux Stones du pauvre, les Chocolate Watchband). Dave Mason de Traffic a même sorti pour l’occasion son Shehnai, une sorte de clarinette indienne. Comme quoi, les Stones n’ont rien perdu de leur courte ambition psychédélique. Prodigal Son et Stray Cat Blues poursuivent dans la veine initiale, la première chanson retrouvant les atours acoustiques quand la deuxième emprunte une voie plus vénéneuse. À ce propos, Jagger et Richards s’inspirent de l’intro de Heroin du Velvet pour composer la leur. Factory Girl est une formidable ballade folk ourlée par le violon de Rick Grech – Family, Blind Faith – et où le mellotron de Hopkins singe une mandoline. Et nous en arrivons à la fin. À Salt Of The Earth. Chanson impériale où le groupe à l’unisson donne le meilleur de ce que furent et seront toujours les Rolling Stones, crédo éternel transcendé vers la fin par le Watts Street Gospel Choir. Le diable ouvrait la danse, Dieu la clôt par un rock des Chapelles. 

À raison, les critiques de l’époque comparèrent Beggars Banquet et ses chansons à l’œuvre mid-sixties de Dylan, celle qui le voyait osciller entre tradition et modernisme, entre authenticité et universalisme. Dylan tout comme Richards et Jagger connaissait l’histoire du Blues comme personne. C’était et c’est encore en la matière une véritable encyclopédie vivante. Enfin, attardons-nous un moment sur le contenant. Pour la petite histoire, le label refuse la pochette des toilettes aux graffitis au motif que celle de If You Can Believe Your Eyes And Ears des Mamas & Papas avait choqué (des WC sans lunettes, quel scandale !). La sortie de l’album est alors décalée au mois de décembre. Le disque sera publié sous une pochette blanche avec une typo de faire-part de mariage. Mariage, banquet, l’occasion est trop belle. Ce choix marketing édulcoré – sobre pour les révisionnistes que nous sommes – nourrira pourtant la nouvelle philosophie du groupe : sous l’épure blues, sommeille un rock sauvage et qui aura retrouvé, le temps d’un – premier– très grand disque, la fièvre et la ferveur. Pas mal pour des mendiants.  

The Rolling Stones, Beggars Banquet (Decca)

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http://tinyurl.com/yygmrbv5

 

 

 

 

 

 


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