Grateful Dead, alive

par Adehoum Arbane  le 04.06.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Baba-coolerie. Grateful Dead a toujours fait l’objet d’un saint mépris. À tort ou à raison d’ailleurs. Il ne s’agit pas de faire corps contre cette vision emprunte de snobisme. Mais d’expliquer le parcours singulier du groupe, sa philosophie, son désir d’explorer des paysages sonores plus vastes qui s’incarnent parfaitement dans son album le plus connu, Live/Dead. Cependant, Le Mort Reconnaissant n’aura pas été la seule formation à proposer un live comme album officiel. La même année, Quicksilver Messanger Service enregistre avec Happy Trail ce qui sera considéré comme son meilleur album. En Angleterre, Pink Floyd suit cette voie sur la face A d’Ummagumma, un an après la face B de Wheels Of Fire de Cream. En 1970, sortent 4 Way Street de CSN&Y et le célèbre Steppenwolf Live, orné d’une superbe tête de loup. La liste est longue et il serait vain d’en égrainer tous les lauréats quand bien même ils aient marqué l’histoire de la pop. Le Dead se démarque cependant de ses prestigieux concurrents. 

Quand ce dernier se décide enfin à sortir un album compilant différentes prestations scéniques données au Fillmore West, les pontes de Warner viennent de sonner le tocsin. Les précédents disques n’ont pas vraiment été des succès et les finances s’en ressentent. Certes, le Dead a toujours procédé à l’inverse du marché. Pour l’Industrie alors en pleine expansion, le concert était (et reste encore aujourd’hui) le moyen le plus simple de promouvoir un disque fraichement sorti auprès du public. Contre vents et marées, Jerry Garcia et ses hommes tirent depuis 1967 l’essentiel de leurs revenus des innombrables shows qu’ils donnent dans la baie de San Francisco, sans trop de soucier des ventes de leurs albums. C’est devenu leur modèle économique. Tout au long de leur carrière, ils auront donné 2314 concerts. Exploit que peu de formations peuvent revendiquer. Et pour cause, ils assurent comme personne. Le Grateful Dead, premier groupe expérientiel. Live/Dead doit donc capter cette magie et la restituer le plus fidèlement possible. Face A, du premier disque – car l’album est double, forcément –, le Dead met en avant une nouvelle composition de Jarry Garcia et de Robert Hunter, Dark Star. Il s’agit ici de la meilleure version live jamais gravée. Alain Dister qui a vécu un temps au frais de Rock&Folk à San Francisco pendant cette période mythique – et qui a fréquenté le groupe – résume parfaitement l’essence de Live/Dead : « un long poème californien de plus d’une heure ». Expression qui convient parfaitement à l’Étoile Noire. Ce soir du 27 février 1969, Garcia joue comme un dieu qui aurait largement détrôné une autre divinité nommée Clapton. On a souvent reproché à Garcia et Bob Weir, l’autre guitariste de la bande, d’être de piètres chanteurs, mais la voix de Captain Trip sur l’unique couplet de Dark Star justifie ce sobriquet. Côté soli, le barbu n’est pas reste qui nous attrape par le col pour nous propulser droit dans un ciel sans fioritures, dans une trajectoire éclaire, pour je cite « traverser cet espace transitoire de la nuit percée de diamants ». Son jeu fluide dénote à l’heure du riff roi, porté par un heavy Rock naissant et impérial. Face B, le Dead enchaîne sur St. Stephen suivi de près par The Eleven. Disons-le, St. Stephen dépasse de loin la version studio qui n’est pas indigne non plus, loin s’en faut. Là encore, l’alchimie du moment fait tout. Il n’est pas impensable d’imaginer à quel point les musiciens du groupe étaient connectés l’un à l’autre, Mickey Hart et Bill Kreutzmann derrière leurs fûts – dans une formule dédoublée, donc – percevant la moindre variation dans les arpèges du maître alors que les claviers de Tom Constanten dessinent des lignes stellaires, sourdes, mais imprimables dans l’esprit de l’auditeur. The Eleven coécrit par le bassiste Phil Lesh – le musicien le plus instruit – et le poète Robert Hunter sonne comme une kermesse joyeusement psychédélique mais sans falbalas ; les musiciens sont des rockeurs, des vrais. Le deuxième disque, pour anecdotique qu’il soit – parce que plus traditionnellement blues – offre de très beaux passages, surtout la ballade Death Don’t Have No Mercy du révérend Gary Davis que Pigpen chante religieusement. Dix minutes qui s’ébrouent ensuite dans le feedback délétère et inquiétant du morceau du même nom, avant de revenir à la normal avec un And We Bid You Goodnight fort à propos. Le concert est fini, le disque aussi. C’est un succès artistique, critique mais aussi commercial. 

Pour revenir au propos liminaire, Grateful Dead a su dépasser son image de gentils hippies drogués jammant pendant des heures, le temps de concerts hiératiques. Pour dire l’importance de Live/Dead, il faut revenir un an avant, en 1968. Dark Star est alors édité en single – un comble ! –, dans une indifférence quasi générale, afin de promouvoir Anthem Of The Sun. Celui-ci ressortira à l’occasion de la réédition 2001 du fameux concert, prouvant à quel point le titre est entre temps devenu légendaire pour les fans du groupe, les Deadheads. D’ailleurs, parlons-en des fans ! Parmi eux on trouve une sous-catégorie fondamentale dans l’histoire du groupe, les « tapers ». Vers la fin des années 60, le groupe les autorise à capter les concerts au moyen de perches micros et même à revendre les bandes. Chose encore plus rare, le Dead leur offre une zone dédiée, près de la table de mixage où ces ingénieurs du son en herbe peuvent brancher leur matériel afin d’obtenir une meilleure qualité sonore. 2000 concerts ont ainsi été gravés de cette manière, édités d’abord sous forme de K7 audio – les tapes des tapers, donc – puis réédités en CD avec l’onction du groupe. Quant au legs du Mort Reconnaissant, il a pris des chemins de traverse que peu de gens, mélomanes, journalistes, avaient soupçonné car menant… En Allemagne ! « Le caractère hypnotique de cette musique n’est pas sans rappeler à la fois le Velvet Underground et le Grateful Dead » déclare Paul Alessandrini dans le Rock&Folk d’avril 1972 à propos de Tago Mago de Can. Et de finir ainsi «Après Amon Düül, découvrons Can, successeur des grands groupes américains.» Et du Dead, on vous dit ! On vous l’écrit pour éviter tout mépris. Euh, toute méprise. 

Grateful Dead, Live/Dead (Warner Bros)

live-dead.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=Zzi8yMBvNXA

 

 

 

 

 

 

 


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