Bill fait pleurer

par Adehoum Arbane  le 18.06.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Ambassadeur de la culture portugaise, le Fado est tristement connu pour son sens du tragique. Autre époque, autre référence, tout le monde se souvient du senhor Oliveira da Figueira, personnage des aventures de Tintin capable de provoquer des torrents de larmes en inventant des histoires pas possibles où le sort se faisait un malin plaisir à s’acharner sur des protagonistes entrainés malgré eux dans un interminable toboggan de malheurs. Du Portugal solaire à l’Angleterre pluvieuse, il n’y a qu’un pas. Bien que prise dans un perpétuel étau de brouillard, Londres a su cependant déjouer les caprices météorologiques en imaginant la pop, traduction musicale et colorée d’un éternel été. Un seul musicien semble n’avoir cure de ces refrains chamarrés et c’est Bill Fay. Fils spirituel du célèbre épicier dessiné par Hergé, le singer-songwriter choisit de se complaire dans le sentiment opposé et ce dès son premier album, paru chez Deram.

Sur la pochette de ce disque sobrement intitulé Bill Fay, ce dernier marche littéralement sur les eaux tel un Christ triomphant, vêtu cependant comme un inspecteur Colombo taciturne. Ainsi, tout au long des treize titres domine le Soleil Noir de la Mélancolie. Et pour ne pas arranger l’affaire, si l’on ose dire, Fay a opté pour un orchestre symphonique qui semble enfoncer plus bas que terre chacune des chansons. Cela commence par le lent et majestueux Garden Song. Fay y évoque la solitude à travers la métaphore agraire. « I'm planting myself in the garden/Believe me/Between the potatoes and parsley/Believe me/And I'll wait for the rain to anoint me/And the frost to awaken my soul/I'm looking for lasting relations/With a greenfly, spider or maggot/Believe Me »Ambiance ! Quelques minutes plus tard – une éternité –, il récidive avec The Sun Is Bored dont le titre annonce si ce n’est la couleur, du moins la grisaille. Bill Fay apparait comme un solitaire, un vieux garçon ronchonnant contre le monde qui va, qui vient, qui accélère dans un mouvement de centrifugeuse qui projette notre pauvre musicien sur le bas-côté de la notoriété. Avec We Want You To Stay, Fay prend conscience du risque de la déprime, pas tant la sienne mais de celle de ses auditeurs. Le rythme est allant et le titre engageant ! Patatras, il rechute avec Narrow Way dont le clavecin et la métaphore d’une chandelle brûlant arrachent déjà les soupirs. Passons sur le fait que la chanson ne propose aucune voie de sortie – comprendre un refrain – pour créer un sursaut. Si We Have Laid Here tente une remontée, Sing Us One Of Your Songs May ne s’embarrasse pas de mélodie qui joue à fond la carte de la marche funèbre. Avec Gentle Willie on se croit sauver. La chanson évoque un marin. Ouf, un peu d’air ! On pense alors à une invitation baudelairienne au voyage, avec ses horizons nouveaux napés des mille feux des aurores tropicales, mais non. Tout n’est que Spleen, calme plat et acidité. Arrive alors Methane River, la rivière de méthane donc. À l’heure de l’écologie reine et de la marche pour le climat, on se dit que tout allait mal en Albion, même en 1970 ! The Room, Goodnight Stan – Adieu Stan aurait été plus juste –, Cannons Plain sont autant de flèches plantées dans les Saint Sébastien que nous sommes devenus bien malgré nous. Be Not So Fearfull, ne soyons pas effrayé !!! Mais non, mon bon monsieur Fay, nous avons juste pris nos jambes à nos cous. Down To The Bridge, on s’est déjà jeté du pont ! Il est vrai que la courte durée des chansons, paradoxalement, n’aide pas à faire passer la fatale pilule. Cependant… Cependant, il ne faudrait pas omettre quelques points positifs dans cet océan de désespoir ! D’abord, l’écriture. S’il n’a pas franchi les portes du Panthéon Pop, Bill Fay n’en demeure pas moins un songwriter inspiré. Peu disert, il leur donne cependant un écrin somptueux, et c’est là le deuxième atout de ce disque. Une guitare – acoustique et parfois électrique –, une basse (plus une batterie ultra discrète) et tout un ensemble de cordes et cuivres qui, s’ils versent parfois – souvent – dans la grandiloquence, font malgré tout preuve d’un lyrisme poignant. Enfin, la voix. Plaintive, mais singulière. Elle surnage dans cette tempête d’émotions presque dylaniennes sans chevroter plus que de raison. 

Au fond, c’est peut-être le tort de la critique d’avoir tenté les comparaisons les plus douteuses. Entre Dylan, donc, et Nick Drake alors que Bill Fay n’a à voir ni avec l’un ni avec l’autre. Trop direct pour ressembler au poète labyrinthique qu’est Bob, trop emphatique pour convenir à la sobriété drakienne. 1971, Fay récidive mais avec un disque moins orchestré, le tout aussi joyeux Time Of The Last Persecution. Puis silence radio jusqu’en 2010 où il sort un nouvel album, suivi de deux autres en 2012 et 2015. Bill Fay aura eu une reconnaissance tardive, faisant l’objet d’un culte largement entretenu au fil des années (Jeff Tweedy a repris Be Not So Fearful). Là, il commence à entrevoir la lumière. Ironie d’un sort qu’on aurait imaginé meilleur tant son talent brille aujourd’hui au firmament de la pop. 

Bill Fay, same title (Deram)

fay-1970.jpg

https://tinyurl.com/y36lf2py

 

 

 

 

 


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