Jethro Tull, passé bien composé

par Adehoum Arbane  le 05.03.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

La pop n’a jamais été avare de concepts. C’est même son principal moteur depuis les débuts, les 60s donc. Prog rock, jazz rock, rock symphonique – sans et avec orchestre quand on en a les moyens – opéra rock etc. Bien qu’ambassadeur d’un style résolument médiéval – donc passéiste –, le leader de Jethro Tull, Ian Anderson, va imaginer après ses premiers succès discographiques un album inédit dont le principe va bien au-delà de l’idée de concept : le best of hors albums ! À l’exception de Song For Jeffrey, l’inusable Bourée, Inside et Locomotive Breath, Living In The Past a le bon goût de réunir tous les singles publiés entre 68 et 71 (nantis de deux morceaux live). On se souvient avec émotion de Sgt Pepper’s qui n’incluait pas les super singles Penny Lane et Strawberry Fields For Ever, tout comme le premier Pink Floyd avait fait cavalier seul, laissant sur le bas-côté les géniaux Arnold Layne et See Emily Plays. Ian Anderson a décidé de se rattraper et de faire plaisir à ses fans. 

Il existe une caractéristique qui distingue Living In The Past des autres Best bof. Qu’il s’agisse des tubes connus (Living In The Past, Witches Promise) ou des morceaux plus confidentiels (Driving Song, Sweet Dream etc), tout est bon voire au-dessus de ce qui pourrait être traditionnellement réservé aux faces A et B. Non pas que les groupes de l’époque consacraient au format promotionnel des morceaux moins intéressants. Mais bien souvent il fallait boucher les trous, donc fournir une chanson à graver. Sur cette double fausse rétrospective, Ian Anderson nous offre le meilleur de son savoir-faire. Et prouve qu’il est aussi à l’aise avec les pop songs que les titres plus virils – la suite très réussie de Love Story, Christmas Song, Living In The Past. Alors que l’album couvre la période faste des années 68-71, on retrouve sur tous les titres l’esprit des albums auquel ils font immanquablement référence. Prenez le très blues et très beau Singing All Day qui aurait pu venir compléter le joli casting de Benefit (album presque injustement oublié). Il est vrai on a aussi plaisir à retrouver les ingrédients qui ont fait le succès de Jethro Tull, parfois assaisonnés d’une touche d’exotisme – les tablas en introduction de Love Story ou la flûte explosive et le mellotron vaporeux sur Witches Promise. Witches Promise qui serait l’équivalent Tulien du Witches Hat du Incredible String Band. Même avec les apparats de l’orchestration, les chansons d’Anderson exercent leur étrange pouvoir de fascination, parce qu’elles sont un précipité des influences de la musique traditionnelle britannique passée au filtre du rock le plus moderne (pour l’époque). Sweet Dream en fait l’éclatante démonstration. Bien qu’intéressantes – il est toujours primordial de voir comment un groupe studio peut sonner en live – By Kind Permission Of et Dharma For One proposent un concentré de tous les travers des sixties, amplifiés durant les seventies, soit des morceaux allongés, bourrés de soli interminables et par trop démonstratifs, cependant il convient de noter que Jethro Tull reste un groupe passionnant à voir en vrai ; la formation fait ce que l’on appelle le Show. Mais la science du Tull tient en quelques savantes petites minutes, agencées avec une économie de moyens qui aurait pu paraître saugrenue au regard des boursouflures habituelles. Les ballades sont le dada de Ian Anderson, là où il exprime la quintessence de son art de l’écriture et de l’interprétation. Just Trying To Be rappelle la brièveté touchante de certains titres d’Aqualung quand Anderson ne choisit pas tout bonnement de les compléter comme sur le bouleversant Wond'ring Again, suite logique de Wond'ring Aloud. Life Is A Long Song, Up The 'Pool et Nursie rejoignent le long cortège des miniatures poignantes peintes par l’artiste. On ne prend guère de risque en affirmant qu’il n’eut dans ce domaine, à priori pas si réservé que cela, aucun équivalent.

Impossible de tout passer en revue, mais on ne saurait trop conseiller de se plonger dans ce véritable livre de contes – la pochette de l’édition originale et, plus globalement, l’objet sont proprement magnifiques. Il rend compte du talent de leur géniteur qui ne s’arrêtera pas en si bon chemin. La compilation sortie le 23 juin 1972 –quelques mois après Thick As A Brick – prépare le terrain au dantesque A Passion Play qui fera également l’objet d’un film pour la télé britannique. Malgré des seventies en dents de scie, Jethro Tull continue de sortir de beaux albums où la plume de Ian Anderson fait à nouveau des merveilles (Minstrel In The Gallery, Requiem, One White Duck – 010 = Nothing At All, Songs from the Wood, Heavy Horses). Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un petit tour dans le passé. 

Jethro Tull, Living In The Past (Chrysalis)

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https://www.youtube.com/watch?v=A6_SGHS0A44

 

 

 

 

 

 

 


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