Barclay James Harvest, fantôme de la pop ?

par Adehoum Arbane  le 19.02.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Il existerait donc pire que Queen ?! Au moins la formation de Mercury aura-t-elle connu le succès (et ses affres). Le cas de Barclay James Harvest semble plus complexe. Le groupe a certes eu son Live at Wembley à lui, le fameux concert à Berlin, vendu comme des petits pains un jour de messe. Ce qui ne l’empêcha pas de se faire railler par la critique rock tout au long de sa carrière. On conviendra que la musique de BJH – pardonnez l’acronyme – n’a rien de très original, pas plus qu’on ne trouvera dans le moindre petit bout d’album un quelconque accent novateur. Et pourtant, Time Honoured Ghosts, sorti en octobre 1975, a de quoi séduire sinon convaincre. Sixième effort du groupe, entièrement enregistré à San Francisco, emballé dans une pochette candide à l’excès – pour ne pas dire niaise – et pourtant poétique, celui-ci mérite une fois de plus d’être honoré.  

Pour résumer, BHJ serait un mélange entre les Moody Blues – le mellotron, la naïveté – et Caravan pour le côté pop sous des atours pseudo prog. Car jamais cette musique ne dépasse les carcans radiophoniques, ce qui ne l’empêche pas de s’octroyer quelques envolées, moments de folie sous contrôle. Ainsi Time Honoured Ghosts est une œuvre de compromis, d’équilibre. Comme pour conjurer la folie des temps. Alors que l’époque se durcit – fin du rêve hippie, politique spectacle, star-system en délire, guerres à répétition –, BJH choisit de créer une œuvre inoffensive mais cotonneuse où l’on ira, si l’on en marque le désir, se réfugier un court instant (le disque dépassant à peine les quarante minutes). Cette parenthèse légère – et dispensable ? – possède bien des charmes, en premier lieu les mélodies, toutes splendides. Qu’il s’agisse de mid-tempo ou de ballades atmosphériques, BJH brille par un savoir-faire évident en matière d’écriture, logique pour des anglais observera-t-on. Les trois musiciens solistes, le guitariste John Lees, le bassiste Les Holroyd et le claviériste Stuart Wolstenholme se partagent les crédits, chacun allant de son petit classique de poche. Quand le premier débute l’album efficacement avec In My Life – rien à voir avec la chanson de Lennon –, le second offre les très beaux Sweet Jesus et Jonathan (hommage à Jonathan Livingston, le goéland). C’est à Woolly Wolstenholme, organiste du groupe, que l’on doit le premier titre prog qui clôt magistralement la face A, Beyond The Grave. Il est à noter au passage que chaque musicien chante sur ses propres titres, et le fait plutôt bien. On mentionnera enfin l’excellente idée cachée derrière l’énigmatique Titles où John Lees réarrange des standards des Beatles tout en se payant le luxe de pondre un mini-tube, ô combien savoureux vous l’aurez compris. De la même manière, la face B démarre sur un "rock", le caracolant Song For You qui n’oublie pas de s’habiller des lignes claires de la pop britannique. La deuxième partie, assagie, ménage un instant de repos, tout en grâce. Hymn For The Children et ses guitares carillonnantes nous emportent par-delà l’Atlantique, chez des clones fantasmés des Byrds. Et c’est plutôt convaincant, voire parfaitement délicieux. Moongirl, quant à lui, réitère l’exploit de Beyond The Grave, entre symphonisme assumé – le simili clavecin – et refrain immédiat. Le disque se termine sur One Night, signé John Lees, qui semble décliner les mêmes accords – en plus alanguis – que In my Life. Pourtant, la trame mélodique tissée par une guitare acoustique surlignée d’orgue renverrait presque à Neil Young, période Harvest (c’est le cas de le dire). On se plait même à entonner tout de go « Everybody needs someone to love/Everybody needs a friend/Everybody needs someone to care/Do you think you can make it in the end ?/Do you think that you can make it, my friend? » ce qui est toujours bon signe. 

Alors, tout cela n’est-il pas trop lisse, voire même consensuel ? C’est certain. Mais n’est-ce pas le prix à payer pour devenir fédérateur, pour toucher le plus grand nombre ? La réponse est oui. Queen fut aussi pointé du doigt pour son côté fourre-tout doublé de mièvrerie. Cependant, dans ses meilleurs – et rares – moments, le groupe apparut comme universel. Aux ambitieux on fustigea la prétention, aux taiseux comme BJH on reprocha le manque d’ambition. Inélégante loi de la critique rock. Méditons cependant cet épisode de la vie du groupe : alors qu’ils viennent de se former, les jeunes musiciens inscrivent chacun sur un bout de papier un potentiel nom de groupe. Seuls trois sont sélectionnés : James en hommage à l’un de leur musicien, Harvest parce qu’ils habitaient une ferme et Barclay en clin d’œil à la banque, car le groupe aspirait à devenir célèbre et à gagner beaucoup d’argent. Ils s’accordèrent ensuite sur la combinaison qui sonnait le mieux : Barclay James Harvest. Comme si tout dans leur parcours relevait du hasard et du malentendu. Qui aurait pu en définitive les gommer du grand Livre du Rock et les évacuer des collections personnelles. Pour autant, l’histoire de la musique populaire ne se réduit pas à des mètres-carrés habitables ou des rayonnages de discothèques. On s’efforcera donc à faire une place à ce groupe, à cet album. On parle d’un disque de trente-et-un centimètre sur trente-et-un, et d’un centimètre d’épaisseur. Pas grand-chose en définitive. Enfin, façon de parler. 

Barclay James Harvest, Time Honoured Ghosts (Polydor)

bjh-pochette.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=q8JpjiADdBg

 

 

 

 

 

 

 


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