Bert Jansch, la folk tranquille

par Adehoum Arbane  le 22.01.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Quand elle ne chatouille pas la tradition, la folk se plait à prendre des accents ombrageux, poétiques, tourmentés. Parfois même, une certaine grandiloquence guette derrière le sérieux affiché. Qu’on l’observe en bon exégète du côté de la Tamise ou à quelques encablures de l’Atlantique, le constat est le même. Bert Jansch peut s’enorgueillir d’appartenir à cette grande famille des femmes et des hommes à barde. L’écossais aura traversé pas moins de quatre décennies, semant les albums tel le petit Poucet, avec application, front baissé sur sa guitare acoustique. Vingt-deux, sans compter ceux avec Pentangle, groupe réunissant une autre sommité du genre, John Renbourn. Une telle discographie pose un homme, suscite (la jalousie ou) le respect (parfois les deux). Et pourtant, Thirteen Down, treizième album de Bert Jansch, semble déjouer tous les clichés de la figure consacrée du Folk Singer Dylanien. 

Déjà la pochette annonce la couleur. La décontraction sera le maître mot de ce disque, crédité pour l’occasion Bert Jansch Conundrum. Le premier titre enfonce le clou. Una Line Di Dolcezza, soit une ligne de douceur, s’ébroue dans le groove d’un Fender Rhodes, instrument inhabituel s’agissant de la folk musique. Sans paroles, le morceau marque là une rupture. Let Me Sing, malgré son violon, explore le même champ musical, avec son clavier en fine pluie. Oh bien sûr, la voix de Jansch, sa façon de poser les mots renvoient à une forme de tradition – la scansion – qui reste l’apanage du genre. Batterie et basse font le reste, transfigurant merveilleusement la chanson. Down River et son accordéon sont la concession à l’usage que les prédécesseurs de Jansch ont initié longtemps avant lui. Avec sa flûte enveloppante, sa rythmique imparable et la voix distante du maître, Nightfall poursuit dans la veine cool tout en conservant une certaine subtilité. On croirait entendre du Hatfield & The North ! Il est à noter que malgré l’année d’enregistrement – 1980 –, Jansch et ses compagnons ne cèdent en rien aux modes futiles de l’époque. Ils prolongent encore, pour quelques minutes, l’esprit, la classe de la pop anglaise des seventies, ronde et chatoyante, élastique et jazzy. Sur If I Had A Lover, Jansch s’efface avec courtoisie pour laisser place à Jacqui McShee. À la bonne heure, la chanteuse de Pentangle y fait des merveilles. Unique single, Time & Time scintille littéralement, merci au Rhodes de Nigel Portman-Smith et à la flûte de Martin Jenkins – les deux copains tout en clope de la pochette. In My Mind clôt cette première face de façon débonnaire. Ménageant de fait la surprise de la face B : Sovay surgit alors de façon incantatoire. Le tempo très marqué n’obère pas la magie aérienne de la chanson, aux allures de douces tornades. Les quatre dernières chansons forment une véritable carte du tendre. Where Did My Life Go touche par son allusion à la drogue et aux faiblesses de l’artiste sans jamais sombrer dans le pathos, qui pourrait être une facilité de la folk. Single Rose est une délicieuse ballade amoureuse au délicat trio de tête : Fender, guitare, flûte. Ask Your Daddy s’impose sans aucun doute comme le morceau le plus mémorable de cet album. Véritable chanson de daron dont Bert Jansch se veut le baron, impérial et facétieux – prenez le temps d’écouter les paroles. Ce père qui sait comment la pluie se transforme en neige et pourquoi maman pleure parfois, c’est lui, c’est Bert. De par son riff tourbillonnant de cordes, Sweet Mother Earth ferait presque songer à du Tony Joe White, voire au Tim Buckley de Greetings from LA. Il faut bien la voix de Jansch pour nous écarter de cette piste. Il s’agit du morceau le plus long, trois minutes et cinquante secondes, peu éloigné dans ses tonalités de Time & Time, et qui possède ce pouvoir d’évasion immédiat, cette faculté à faire voyager. On dirait presque du Fleetwood Mac période Rumours. Et que dire de la fausse fin, intervenant à la troisième minute ? Sweet Mother Earth repart comme un charme, un envoutement dont on ne peut se défaire, fort heureusement. Bridge referme ce Thirteen Down sur un instrumental dénudé, sorte de madrigal typique de l’art britannique. 

Notons que sur Thirteen Down, Bert Jansch se livre d’autant qu’il signe de sa propre plume la quasi-totalité des compositions (hormis deux traditionnels, Nightfall de Jenkins et Bridge cosigné Jansch/Jenkins). Au jeu des comparaisons, la vision bien souvent se trouble, se perd. Pour autant on pourrait déceler chez le Bert Jansch de la fin des années soixante-dix, début des années quatre-vingt, un soupçon de Jim Croce, de Bob Welch, voire de Tom Rapp (Beautiful Lies You Could Live In). Intimiste, sobre – ce qui ne veut pas forcément dire austère, voire janséniste ! –, mais toujours élégant, Jansch donne une vision épurée de la folk (exit les fantômes romantiques plein de Brontë). Une sorte de folk à la papa, au sens inverse du terme, en pattes d’éléphant, chemise ouverte et débardeur tricoté par madame, clope au bec, pinte à la main. La folk tout comme la rupture du même nom : tranquille. 

Bert Jansch Conundrum, Thirteen Down (Kicking Mule Records)

thierteen-down.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=JBObyWL6TN8

 

 

 

 

 


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