The Head Shop, tête de gondole psyché

par Adehoum Arbane  le 13.11.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Le rock a toujours su, non sans talent, alimenter sa propre mythologie. Ainsi en va-t-il des one-hit wonders, ces artistes qui sur la base d’une seule chanson ont eu un succès populaire à ce point fulgurant qu’il ne connut pas de lendemain. Matrice du psychédélisme américain, le rock garage fut un formidable réservoir de tubes d’un jour ! Ce que l’on sait moins, c’est que le psyché US fut aussi pourvoyeur de one-album wonders. Pour des raisons assez évidentes, d’ailleurs. Un groupe était signé par un gros label, l’album enregistré avec une totale liberté de création puis lancé sans publicité – le revers de la médaille de ladite liberté. Tout cela, parce que les directeurs artistiques préféraient se concentrer sur les groupes établis. 

Dans cette catégorie, on aurait pu citer de nombreuses œuvres monumentales, le choix s’est donc porté sur Head Shop. Pour une première raison qui nourrit effectivement sa légende. Le relatif anonymat des membres du groupe. Au verso de la pochette, ne figurent que les prénoms des musiciens. De surcroit, la photo, baignée dans une pénombre inquiétante, ne révèle que des corps, des parties de visages qui semblent tous identiques. Quant aux producteur et arrangeur, les patronymes de Maxim et Milan n’en disent pas plus. En se coulant dans les costumes de Davet et Lhomme, après enquête, on découvre que Milan Radenkovitch a écrit et produit nombre de singles garage avant de former Head Shop. De même la brièveté de l’œuvre, dépassant à peine la demi-heure, laisse l’auditeur sur sa faim, tant le disque passionne de bout en bout. Le fait que le groupe reprenne deux titres des Beatles – un Yesterday, encapsulé dans Opera In The Year 4000, et Revolution – privant l’œuvre de deux chansons de la plume experte de ce fameux Milan, ne peut que nous frustrer. Surtout si l’on se concentre sur le reste. Ce qui frappe ce n’est pas tant le songwriting, qui joue avant tout la carte de l’efficacité, mais bien l’interprétation. Si la fuzz reste l’apanage du psychédélisme atlantiste, celle-ci n’avait rarement atteint de tels sommets. Dès l’entame de l’album, la guitare prépare le terrain qu’elle va ensemencer, voire laminer. Sur Heaven Here, elle vrombit littéralement, complétant à merveille l’orgue dont le traitement diamantaire s’avère le deuxième atout de ce disque. Bien sûr, le chant murmuré, théâtralisé à l’extrême, ajoute à la dimension étrange du morceau, et de l’album au global. Même démarche sur Sunny, reprise toute aussi lente que la version originale, mais suffisamment sépulcrale pour la propulser dans un ailleurs tout aussi fascinant. Avec sa pluie de harpe, ses violons en coup de poignard – rappelant insidieusement la séquence de meurtre de Psycho – et la voix mixée très en avant, Listen With The Third Ear prolonge cette ambiance de bad trip. Opera In The Year 4000 marque cet instant précis où l’album semble basculer dans le grand n’importe quoi, avec sa fausse introduction samplée, ces chœurs se lamentant à l’unisson d’un orgue baveux, la voix tout en trémolos et les interventions acérées de la guitare, le tout préparant un refrain en sucre, pavarotique à souhait ! La répétition d’une telle logique – les chœurs et le refrain sorti plein poumon – lève le rideau sur une reprise totalement boursouflée de Yesterday. La deuxième, Revolution donc, marque la première apogée de The Head Shop. Disons-le sans regimber, c’est la meilleure reprise des Beatles jamais enregistrée ! Double attaque de fuzz en stéréo, percussions endiablées, orgue nerveux et chant à gorge déployée. Orgiaque, le solo de fuzz, bien que très court, explose à nos oreilles ! La tracklist a dû être pensée, discutée tant la suite s’enchaîne avec force et précision. Long de presque six minutes, I Feel Love Comin On s’impose comme la pièce de résistance du Lp, à la fois soul et psyché, lancinante et hardie – la guitare fuzz, encore une fois. Qui, roborative, va tartiner un solo de légende sur la surface plane d’une voix-lactée imaginaire. Lentement d’abord, puis en douces éruptions sporadiques et syncopées. Petit détail à mentionner tant il compte : I Feel Love Comin On doit être écouté au casque, sur un ensemble hi-fi de qualité, assis ou allongé dans un salon qu’on aura au préalable plongé dans le noir absolu. Rituel indispensable pour qui voudra planer dignement. Enfin, il convient de saluer la qualité d’enregistrement et de restitution du son contribuant, au même titre que les autres éléments susmentionnés, à faire de ce disque un chef-d’œuvre inaltérable. Le duo Prophecy-Infinity referme l’ensemble, et de la plus belle des manières. Si Prophecy retrouve les accents opératiques de Opera In The Year 4000, Infinity avec son rythme blues, servi par un orgue rondibolant des touches, une batterie ultra-puissante et une fuzz énOOOrme, se pose en clone assumé du premier titre. Seul défaut, la trop courte durée du titre qui se noie très vite dans un bidouillage de console à l’infini, suggérant par la même une dérive spatiale, soit un final bizarre, inattendu mais ô combien génial. 

Le voyage n’aura duré qu’un album, et de trente-deux minutes de surcroit. On en redemanderait presque mais non. Telle est la magie de ces années fécondes pour le rock US, mais provisoire pour le psyché bis. 

The Head Shop, s/t (Epic)

hs-cover.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=2bIb9xjH_TQ

 

 

 

 

 

 

 


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