The Travel Agency, retour vers le futur

par Adehoum Arbane  le 09.10.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Peut-on être en avance sur son temps, mais de vingt ans ? Ou les trois musiciens de Travel Agency se sont-ils tout simplement trompés d’époque ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par écouter leur unique album dont la légende prétend qu’il aurait une suite, restée à ce jour dans les tiroirs de la maison de disques, et tout simplement appelée Metamorphosis. S’ils adoptent les codes établis de la pop beatlesienne, Steve Haehl, Michael Sage et Frank Lupica les transcendent immédiatement par une interprétation au cordeau. En effet, tout au long des douze titres, jamais nos musiciens ne versent dans les falbalas dont l’époque avait parfois coutume. Même les quelques claviers émaillant certains titres, subissent un traitement si particulier qu’il concourt à la singularité du disque sans jamais nuire à sa limpidité toute californienne. À ce propos, les exégètes prétendent que les Travel Agency viennent de San Francisco, hypothèse non vérifiée dans la mesure où l’album ne propose aucun crédit. 

Mais revenons à l’œuvre en question, et par le menu détail. Dès l’entame, on est plongé dans un univers hors du temps et de l’espace. Ici, les claviers sonnent presque comme des grands orgues de messe, traversés d’effets propre psychédéliques, auxquels s’ajoutent des chœurs étranges, surgis de nulle part. Au bout de deux minutes et quelques, le tapis instrumental s’estompe pour laisser place à un vigoureux riff de guitare et des voix énergiques qui définiront l’identité du disque jusqu’à sa fin. Sorry You Were Born poursuit dans cette veine minimaliste – guitare, basse, batterie à l’os – créant par la même une intemporalité saisissante. Blues gorgé de fuzz, Cadillac George détonne quelque peu mais il suffit d’une idée originale – les chœurs sur le refrain avec son « I go » aigu et ironique – pour que le morceau échappe aux stigmates du genre et à l’ennui profond. S’en suivent deux ballades, la très planante et languide Lonely Seabird dont la musique exprime à merveille ce que le titre présageait, et So Much Love, sorte de madrigal dont le texte, d’une simplicité touchante, bouleversera le cœur de glace de l’auditeur récalcitrant. Quittant ces momentanés habits de délicatesse, les musiciens retrouvent les accents de leur pop vive et droite sur le vindicatif Make Love, hymne s’il en est, qui aurait mérité une audience bien plus large. C’est peut-être dans cette formule que les Travel Agency sont les plus géniaux. Si That’s Good, judicieusement placé en ouverture de la deuxième face, renoue avec le psychédélisme éthéré de What's A Man, le trio s’empresse de retrouver sa martingale  pop. Ainsi vont I'm Not Dead, suivi de She Understands ou encore Come To Me (enluminé de fuzz et de ce clavier "harmonium" qui donne du fil à tordre à notre oreille autant qu’à notre esprit analytique) et le final caracolant de Old Man – si l’on fait exception du charmant You Will Be There. La façon dont Steve Haehl gratte les cordes de sa guitare agit comme une capsule temporelle et nous envoie à l’aube des nineties, sur les campus américains où la crème du rock alternatif bredouillait déjà ses premiers classiques. Nirvana bien sûr suivi par un bataillon de groupes nerveux et querelleurs : Weezer, Green Day, Sum 41, Nada Surf, NOFX. Certes, comparaison n’est pas raison et Travel Agency de ne jamais quitter, contrairement à ses bruyants rejetons, les doux rivages harmoniques du son west coast. Mais le jeu de guitare de Steve Haehl fait sans le savoir date. Malgré les qualités évidentes du disque, le label ne transforme pas l’essai. 

Le temps passe, les seventies déboulent. Haehl et Lupica forment en 1971 le groupe Shanti dont le nom laisse peu présager de son contenu : derrière le verni hindouiste de certains titres, se cachent des choses plus immédiates et agréables, témoignant de la petite grandeur passée de Travel Agency. Si l’on tend l’oreille, on reconnaît la voix apaisée et quelques riffs de Steve Haehl. Malgré cette providentielle renaissance, la toute jeune et nouvelle formation tombe illico dans l’oubli qui l’a vu naître. Reste aujourd’hui les chansons de Travel Agency, toutes formidablement bien écrites, pleines de mélodies mémorisables et de ferveur juvénile. Comme un parfum d’adolescence. Une sorte de California Sum Shine !

The Travel Agency, s/t (Viva)

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https://www.youtube.com/watch?v=z8dePyEEGqk

 

 

 

 

 

 

 


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