Joe Byrd, état de grâce éternel

par Adehoum Arbane  le 23.10.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

La quête absolue de modernité. Celle pour laquelle on vendrait père et mère, pire, son âme au diable. Cet ardent désir fut l’obsession de tous les artistes, jusqu’à être théorisée par Baudelaire dont l’ambition sera de « tirer l’éternel du transitoire ». À l’aune de la pop, peu de groupes furent à la hauteur de cette promesse, sauf peut-être les Beatles de l’époque Revolver-Sgt Pepper’s – selon les fans de l’un et les détracteurs de l’autre. Aujourd’hui, le constat, sévère, reste le même. 

Mais revenons aux sixties. 6 mars 1968, un groupe à lui seul réalise ce rêve fou, et bien au-delà de toutes ses espérances. The United States of America. Œuvre quasi intégrale du musicien new-yorkais Joseph Byrd, cet album éponyme n’a pas d’équivalent à son époque. Certes, le duo de Silver Apples livre la même année un premier essai qui influencera rien moins que la scène allemande des années soixante-dix. Mais The United States of America se distingue de son concurrent par une approche moins cadenassée, jouissant d’une liberté totale et d’une inspiration à faire pâlir n’importe quelle formation underground. Entouré de musiciens accomplis eux-mêmes compositeurs, Byrd explore tout le champ des possibles de la pop, élargissant par la même les frontières déjà bien conséquentes du psychédélisme. Dès l’entame The American Metaphysical Circus, on pense bien sûr aux ambiances de foire de Sergent Pepper’s mais la complexité de la composition ainsi que le travail du son posent les bases d’une musique radicalement neuve. Pourtant, avec son duo chanteur-chanteuse, The United States of America pourrait se rapprocher du Jefferson Airplane. Pourrait… Évitant les tics de l’époque, Dorothy Moskowitz prête son timbre diaphane à des chansons pour le moins étranges, traversées de fulgurances électroniques qui concourent à la magie de l’œuvre sans quitter des territoires connus. Hard Coming Love et son introduction explosive, longue d’une minute vingt, le démontre admirablement bien. Avec son refrain rageur, le morceau n’a de cesse d’hésiter – volontairement – entre mélodie et recherche sonore. En dehors de l’instrumentarium classique, guitare fuzz, orgue acide, et tandem basse-batterie, le groupe y ajoute violon éthéré, moog, modulateur, synthétiseur. Ce qui frappe c’est le delta entre des morceaux comme Cloud Song – dont le nom résume parfaitement l’esprit– et le grégorien Where Is Yesterday, ce qui n’empêche pas le groupe de délivrer des titres plus détendus comme I Won't Leave My Wooden Wife For You, Sugar, rappelant le Country Joe & The Fish de l’année 67, ou d’énergiques instantanés psychédéliques comme The Garden Of Earthly Delights et Coming Down. Il faut bien la romance ineffable de Love Song For The Dead Che pour préparer le terrain final où, le temps d’une pause anglaise, revisitation de Eleanor Rigby en plus tourbillonnant (Stranded In Time), nos musiciens décidément en veine synthétisent leur album en un titre, The American Way Of Love, long tunnel créatif aux multiples rebondissements. Pour dire les choses franchement, nos musiciens vont plus loin que les Quatre de Liverpool sur A Day In The Life et ce, sans jamais trahir l’essence du rock : son efficacité. Le plus admirable tient donc à l’évidence de la mélodie ouvrant ces six longues minutes, annihilant tout pouvoir critique de ce qui aurait pu sembler comme un exercice de style vaguement hermétique. On imagine à peine – on devrait – le temps passé à sélectionner chaque prise, à mixer le bon passage pour que ce dernier s’encapsule parfaitement dans le thème principal. Exigence que le groupe eut la folie de maintenir tout au long du disque. On pense aussi au producteur dont on imagine qu’il trouva difficilement sa place tant le résultat semble aujourd’hui cohérent. Enfin, on prend la mesure de cette décennie folle où une formation mineure comme United States of America, certes signée chez Columbia, pouvait effectuer une percée dans les charts. Quel disque, à la fois mélodique et aventureux, accomplirait aujourd’hui pareil exploit ? 

L’année suivante, Joseph Byrd monte un nouvel orchestre avec l’ambition de donner une suite à son premier disque. Bien que consistant, possédant de réels moments de grâce, Joe Byrd and The Field Hippies paraît moins novateur que son devancier. Peut-on lui en vouloir ? Non, bien sûr, et le fait que The United States of America ait profondément bouleversé les jeunes musiciens de Broadcast conforte le fan dans son choix. En 2018, il y a bien deux mondes diamétralement opposés : ceux qui connaissent The United States of America et tous les autres. 

The United States of America, s/t (Columbia)

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https://www.youtube.com/watch?v=ZEysecgCVr0

 

 

 

 

 

 


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