Déjà Vu mais déjà dit ?

par Adehoum Arbane  le 30.10.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

L’association Crosby, Stills, Nash & Young est souvent présentée comme la martingale ultime. L’alignement des astres, la conjonction des voix. Hormis le gentil Nash, Crosby et Young se taillent la part du lion. Crosby, c’est le timbre, la force de l’émotion dans la chanson titre, mais aussi l’homme, le symbole. Neil Young, lui, a déjà des lettres de noblesse. Quand sort Déjà Vu, il possède déjà quelques classiques en poche et lorgne ailleurs. L’année d’après il sort Harvest, son chef-d’œuvre. Gros carton dans les villes pour la musique des champs. 

Pourtant, Déjà Vu – tout comme Crosby, Stills & Nash – voit briller Stephen Stills, le fidèle. Non seulement il signe trois titres, dont un Everybody I Love You en collaboration avec le Loner, mais il confère au groupe ce son si particulier de guitare acoustique. Cette façon de tirer sur les cordes comme sur un élastique, et de les relâcher dans une vibration puissante. Ainsi commence Carry On qui donne au disque une énergie s’estompant par la suite, même si  les compositions de ses camarades déploient un spectre musical rarement atteint dans un disque rock, lequel pourrait être largement qualifié de pop (Our House de Nash). On retrouve cette pulsation sur 4+20, plus court, plus dépouillé que Carry On. Et puis il y a la voix veloutée et puissante de Stills, sorte de soulman blond. On l’entend tel un évangéliste hurler ses paroles sur le final extatique de Everybody I Love You. Stills c’est aussi Suite: Judy Blue Eyes qui est un peu l’équivalent de Carry On. Même choix de placer ce titre – immortalisé sur la scène de Woodstock – en entame du premier album. Le songwriting de Stills domine déjà le nouveau matériel du trio. Les deux autres ne déméritent pas, Nash en pourvoyeur de jolies pop songs (Marrakesh Express), Crosby en barde médiéviste sur Guinnivere – annonçant les splendeurs futures de f I Could Only Remember My Name – ou en bluesman roboratif sur Long Time Gone. Stills, lui, est parfaitement à l’aise dans tous les registres : l’hymne californien de Suite: Judy Blues Eyes, les miniatures poignantes que sont You Don't Have To Cry et Helplessly Hoping, mais également les rock épiques (Wooden Ships et 49 Bye-Byes). Il y déploie son savoir-faire de guitar-hero, tout en finesse californienne. Mais le plus grand malentendu à son sujet tient au fait que l’on oublie qu’il y eut un avant et un après Crosby, Stills, Nash & Young. Avant, et c’était l’époque de Buffalo Springfield – l’équivalent condensé des Byrds –, Stills avait déjà imprimé l’époque de ses chansons au combien fédératrices. On pense tout de suite à For What It's Worth, l’un des tubes de la bande-son des sixties américaines. Mais aussi dans une moindre mesure à Bluebird, Rock & Roll Woman, Questions sur Last Time Around. C’est aussi passer sous silence la carrière sous son propre nom qui, malgré les avanies personnelles, résonne de morceaux incroyables dont Love The One You're With. Encore un classique que l’on retrouve d’ailleurs sur le mythique 4 Way Street, lequel s’achève magnifiquement sur Find The Coast Of Freedom. En plus de ses disques solos, on lui doit Manassas, le groupe et le disque paru en 1972, synthèse incroyable des deux continents américains. En 1972 donc, il y eut Harvest et Manassas. 

Alors que reste-t-il aujourd’hui de tout ça ? Les déboires alcooliques, si l’on ose dire, auront un peu gâché la fête, et ce qui s’annonçait pour Stills comme une voie royale. Mais si l’on reste objectif, on affirmera qu’il fut un formidable songwriter, un chanteur subtil et un guitariste (acoustique et électrique) pas moins fondamental que les Hendrix, Santana, Clapton, tous ces lead légendaires de leur vivant et que Stills révérait. Ce dernier incarne la figure discrète d’une rock story bien trop livresque pour exposer à la lumière tous ses enfants. Cependant, For What It's Worth, pour ne citer qu’elle, fait toujours le bonheur des bandes originales, apparaissant dans plus de trente-deux films, séries et documentaires. Pas si mal pour un outsider. 

Crosby, Stills, Nash & Young, Déjà Vu (Atlantic)

deja-vu1.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=nP0VBB7BO64

 

 

 

 

 

 


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