Salvation, west coast killers !

par Adehoum Arbane  le 11.09.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

À l’heure où le « en même temps » semble sonner le glas du bon vieux clivage – en apparence –, il en existe un autre qui structura longtemps la production musicale américaine. East ou West Coast ? Question d’autant plus cruciale qu’elle n’est pas l’apanage du seul rap US. En 1967, elle s’avérait plus que pertinente. Ainsi, il y avait bien un son West Coast. S’il pouvait se définir par une approche languide et cool, celui-ci se divisait pourtant en deux chapelles, deux scènes. Le L.A. Sound, plus direct, plus professionnel aussi. Le San Francisco Sound, plus fou. Il faut dire que la proximité avec Berkeley n’arrangeait pas les choses, et la production locale de se montrer sous un jour plus révolutionnaire (Country Joe & The Fish, Mad River…). Épicentre de la communauté hippie, le quartier de Haight-Ashbury abritait ce que la ville comptait de talents nouveaux, s’exprimant à l’occasion des Human Be-In, au cœur du Golden Gate Park.

Salvation fut de ces groupes que des directeurs artistiques, grimés en freaks, venaient alors écouter live, avec le secret espoir de repartir avec un contrat signé. Repérée par ABC, la bande de Al Linde et Joe Tate, respectivement chanteur et guitariste, eut tout le loisir de graver sur disques un répertoire original qui retient aujourd’hui notre attention. En deux albums, l’un sorti en 1968, le suivant en 69, Salvation se distingue d’emblée du tout-venant psychédélique par la qualité de ses chansons, la diversité de son style, mixant habilement blues, acid-rock et longues suites planantes, et l’interprétation, bien dans l’esprit du moment. Loin d’un psychédélisme par trop sérieux, Salvation n’a pas son pareil pour préempter un acid-rock presque groovy. Le tempo des morceaux mais également la voix de Al Linde portent haut les chansons. De Love Comes In Funny Packages à What Does An Indian Look Like, jamais le groupe ne se départit de son humour. Ainsi, Salvation revisite-t-il le mythe de cendrillon à la sauce baba (Cinderella), de même qu’il se fend de son morceau anti-guerre (G.I. Joe). Sur l’album suivant, des chansons comme Hollywood 1923, Yuk Yuk, In The Evening, Salvation Jam ou What'll I Do #42 dispensent leurs rythmes funky, syncopés de façon jubilatoire. Sur In The Evening, les paroles, cocasses à souhait, sont à mille lieux des fadeurs qu’inspirerait le mouvement me too : « In the evening she’s a woman, un the daytime she’s a girl, i think she’s nice, oh yes i do ! »Musicalement, en plus de la section rythmique élastique, l’orgue acide, parfois proche du clavecin électrique, de Art "U.S. Of Arthur" Resnick et la guitare fuzz de Joe Tate donnent le la à l’ensemble des titres, et font la saveur de Salvation et de Gypsy Carnival Caravan. Ce serait presque oublier les pièces de résistance montrant un groupe fort audacieux dans son art de combiner structure rock et moments de folie pure. Prenez Think Twice et son entame efficace, le groupe a tôt fait d’envoyer le morceau vers des sphères plus free – solo de flûte mixé, guitare toute en arabesque – avant de revenir au thème initial, judicieusement accéléré. Idem sur Yuk Yuk où l’orgue prend des sonorités étranges. Handles Of Care représente le point de rupture du cool, même si la voix de Linde joue à fond la carte de la nonchalance. Au final, la voix trafiquée ainsi que le long solo oblique de U.S. Of Arthur font littéralement basculer ce Handles Of Care dans une autre dimension, figurant parmi les meilleurs moments de leur second. Quant à Salvation Jam, cet instrumental élargit la palette sonore du groupe, intégrant le Minimoog de Paul Beaver (& Krause), le saxophone de Tom Scott et le sitar de Bill Plummer, poussant le délire au-delà de l’inimaginable. Produits par Bob Thiele –l’homme qui enregistra Coltrane, Mingus, Shepp, Ayler mais aussi Ford Theatre, Graffiti –, les deux opus de Salvation ont eu le bon goût de convier la crème des musiciens de session californiens, à l’image de l’incontournable Hal Blaine !  

Une fois de plus, Salvation – tout comme Fifty Foot Hose ou Kak – s’inscrit parmi les meilleures formations san franciscaines, dépassant de loin certains de ses modèles (Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service). Avec Altamont, l’année 69 marque le déclin du mouvement psychédélique, du moins pour les groupes officiels qui se tourneront bien vite vers un country rock tout aussi décontracté. La seconde division de l’acid-rock dont Salvation fit partie, continuera l’aventure un temps, avec quelques éclatantes réussites, avant de céder le pas à un hard rock psyché qui effacera très vite toute connotation droguée de ses chansons. Par deux fois, Salvation aura donc sauvé la mise. Logique pour un groupe appelant au Salut.  

Salvation - Gypsy Carnival Caravan (ABC)

1033895593-2.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=3KB2SZjukHo

https://www.youtube.com/watch?v=WGTuviHaxqY

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top