Van Morrison, white is black

par Adehoum Arbane  le 10.07.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

La fascination du grand public – habituellement client de la pop – pour le rap s’explique par deux raisons. Le rap peut se revendiquer exclusivement comme la musique  de la communauté afro-américaine. C’est une première depuis l’avènement du rock. La deuxième raison touche  à la nature profonde de cette musique, à son caractère sulfureux, et à la voyoucratie qui lui tient lieu d’élite. Bref le bourgeois blanc se rassurerait de sa condition en se passionnant artificiellement pour la bande-son des ghettos qu’il ne fréquente pas,  à l’évidence. Pourtant, chose étonnante, le rap n’est pas la première expression artistique à prospérer sur ces arguments-là. Le rock, bien avant lui, cultiva cette mythologie urbaine, celle des gangs, tout en explorant les codes de la musique noire, la soul et le groove. Ils sont nombreux qui mériteraient d’être cité, pourtant on retiendra un artiste, Van Morrison. Au sein des Them, son premier combo, dans une Irlande du Nord où couvent déjà les prémices de la guerre civile. The Angry Young Them, « angry », tout est dit. Un an plus tard, ce serait les premiers mouvements contre la ségrégation visant les catholiques irlandais. Après ce prélude garage, Bert Berns, leur producteur de l’époque, persuade le jeune leader de s’envoler pour New York afin de démarrer une carrière sous son propre nom. Ce que le jeune rouquin fera. Un premier album est bouclé où le talent en gestation s’exprime dans une veine entre pop, soul et folk sibylline. Puis arrive très vite Astral Weeks, premier chef-d’œuvre et un album unique en son genre, aux croisements de la musique folk et du jazz. En 1969, Van Morrison s’attaque à la suite mais contre toute attente décide de revenir aux fondamentaux. Des morceaux plus courts d’abord, et surtout des compositions à la coloration plus soul. Il se dégage de Moondance, sorti le 27 janvier 1970, un esprit, une spiritualité ineffable ; est-ce parce que l’artiste entame cette nouvelle décennie pleine de surprises, à la fois exaltante et inconnue ? Une fois de plus, Van Morrison brasse les influences, il mélange à la soul des origines un be-bop sexy en diable, tout en contorsion de cuivres et de flûte, une musique qui à l’image du rock est autant faite pour danser que pour penser. Relativement court, avec seulement dix chansons au compteur, le singer-songwriter saisit l’essence de la beauté sans trop en faire, en misant sur l’émotion pure de titres sublimes comme Crazy Love, sorte de dentelle noire, le frissonnant Into The Mystic ou le presque symphonique Brand New Day. Il le fait d’autant mieux qu’il ne se laisse pas charmer par les sirènes de la grandiloquence ou du tout orchestral. La retenue présidant à la beauté, Van The Man ne s’écarte de cet axiome qu’à un seul petit moment, sur le sautillant Everyone avec son entame où un clavecin facétieux fait mine de galoper dans les landes irlandaises.  Quand il ne laisse pas crier son cœur, le compositeur choisit de faire hurler ses jambes. Ainsi, Caravan, Come Running ou  Glad Tidings sont-ils des hymnes frénétiques, au groove imparable, auquel on ne peut se refuser de céder, des hits imaginés pour les pistes surchauffées, les clubs embrumés que le chanteur poupin a dû fréquentait à ses débuts. Malin il n’oublie pas de convier le blues qui l’a vu naître sur These Dreams Of You, où l’harmonica fait des merveilles, et le swing charmeur, surgi des artères de Manhattan, sur le très élégant Moondance. And It Stoned Me qui ouvre l’album concentre les deux sources d’inspiration : un charme insidieux, une joie entraînante teintée de douce mélancolie. Jamais la chanson ne sombre dans le larmoyant, dans le sentimentalisme facile, Van Morrison ne mange pas de ce pain là, non. Mais il n’a pas son pareil pour exprimer une certaine grandeur de la musique noire qui traversa bien des époques, bien des révolutions… Bien des souffrances aussi. Il en devient malgré lui, sans le vouloir, le plus noble ambassadeur, peut-être aussi parce qu’il est blanc, et que sa posture fut toujours emprunte de déférence et d’humilité. Abstraction faite de son caractère volcanique que les rock criticsde l’époque décrivirent avec gourmandise. Plus qu’un disque parfait, touchant, délicieux de bout en bout, Moondance revendique haut et fort son amour pour le Rhythm and blues, le vrai. Réécoutez Crazy Love pour vous en convaincre, savourez le sucre dans la voix de Van, l’ambre des chœurs, la délicatesse des arrangements et aussi le texte, bien sûr, poétique jusqu’au bout des cordes. Reprenez l’album au début, repassez-le, arrêtez-vous parfois sur quelques vers : « We were born before the wind/Also younger than the sun/Ere the bonnie boat was won/As we sailed into the mystic/ark, now hear the sailors cry/Smell the sea and feel the sky/Let your soul and spirit fly into the mystic. »Goûtez alors à son lyrisme jusqu’au bout des anches.L’odieux Kanye West qui prétend être le seul à parler – chanter ? – au nom de la communauté afro-américaine devrait ainsi jeter une oreille attentive et respectueuse au Moondance de Van Morrison. Il en ressortirait comme nous : grandi. 

Van Morrison, Moondance (Warner)

moondance.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=CEvsDuJYEnI

 

 

 

 

 

 


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