Fleetwood Mac, vies multiples

par Adehoum Arbane  le 17.07.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

« Chaque film de Woody Allen est mon film préféré de Woody Allen ». Cette réplique imaginaire mais crédible a le mérite de montrer à quel point la filmographie du réalisateur s’avère dense, intégrant de nombreuses périodes qui correspondent à autant de cycles créatifs. Un groupe pourrait aisément revendiquer cette particularité, il s’agit contre toute attente de Fleetwood Mac. À ceci près que chacune de ses époques a ses ardents défenseurs, sans immixtion des uns dans le camp des autres. Le plus comique tient dans les revirements. Si l’on a préféré dans sa prime jeunesse la période – de la respectabilité – blues portée par l’immense Peter Green à celle plus vulgaire de la pop FM des années 76-79, on aura retourné sa veste, la quarantaine passée. Sans oser avouer qu’au final, tous ces albums comptent ou du moins, racontent une histoire qu’il serait difficile de tronquer, voire de renier. C’est oublier qu’avec l’âge tout auditeur peut changer d’avis, mûrir ou réécouter une œuvre longtemps après avec une oreille un peu plus neuve. Mais revenons à l’histoire de Fleetwood Mac dont l’ironie veut que les deux membres fondateurs, Mike Fleetwood et John McVie, ne joueront pas ou plus un rôle fondamental dans le processus de création. Ainsi, c’est peu dire que l’arrivée de Christine McVie, puis celle de Lindsay Buckingham et de Stevie Nicks va considérablement influencer le style d’écriture du groupe. Les chansons devenant plus directes, plus polies, sans pour autant paraître lisses, quoi qu’on en dise. Certaines possèdent même une réelle force, un impact qui n’obère en rien leur complexité et leur pouvoir (The Chain, You Make Loving Fun). Mais avant que le couple ne réinvente la formule blues rock traditionnelle, il existe une courte séquence coïncidant avec les passages de Bob Welch et Danny Kirwan dans le groupe, de 1969 à 1972. Si l’on recadre dans ce laps de temps, on isolera les années 71-72 avec les sorties de Future Games et Bare Trees. Dans cet entre-deux, on trouve de très belles choses qui ne sont plus tout à fait blues, mais pas encore pop, sur fond de lutte pour la première place. Malgré la patte reconnaissable de Christine McVie, on tombe illico sous le charme des chansons de Welch et de Kirwan qui vont dès lors se tirer la bourre. D’emblée, Kirwan se montre plus à l’aise sur Future Games comme le prouve Woman Of 1000 Years, placé en ouverture. Tout à la fois pastoral et océanique, le morceau demeure éblouissant et aurait mérité une reconnaissance plus grande tant ses qualités sont grandes. Morning Rain, signé Christine McVie, sonne comme du Supertramp. Quant au morceau titre –  mettons vite de côté le passable What A Shame (Kirwan) –, il montre un Bob Welch très inspiré. Se dégage des premières minute une mélancolie cool, presque californienne. Une indolence seventies. Quand le solo démarre, sa limpidité nous préserve des assauts grandiloquents et bavards dont la décennie fut coutumière. Après une chose aussi grandiose, Kirwan envoie Sands Of Time, magnifique et éthéré. Sometimes (Kirwan) et Show Me A Smile (McVie) referment l’album de la plus belle des manières, prolongeant cette ambiance que la pochette, sobre, reflète à merveille : un état de grâce. L’année d’après, Bare Tree poursuit sur cette lancée, même si Welch semble prendre sa revanche. Quand Child Of Mine (Kirwan) assume des atours plus rock – on se croirait dans L.A. Woman –, The Ghost (Welch) donne l’impression de la continuité sans trop galoper, sans doute cela est-il dû au tapis de percussion et au mellotron. Avec Homeward Bound (McVie), on entre sur l’autoroute d’un rock à deux doigts d’être FM, avec son refrain efficace, tout en tensions ! Sunny Side Of Heaven (Kirwan) – un instrumental – renoue avec la beauté quasi planante de l’album précédent, mais avec un tempo presque country. Au bluesy Bare Trees (Kirwan), on préférera Sentimental Lady (Welch), élégant et charmeur jusque sur le refrain, chanté avec Christine McVie. Idem pour Danny's Chant, trop heavy, là où le joliment pop Spare Me A Little Of Your Love de McVie emballe en un clin d’œil, avec ses accents gospel. Fort heureusement, Kirwan se rattrape avec Dust, formidable ballade trop courte dont la durée oblige cependant à une réécoute en boucle. Danny Kirwan se fait virer pendant la tournée Bare Trees, le groupe entre alors dans une phase de gestation et d’incertitude qui se ressentira sur disque. Jusqu’à la rennaissance. Une de plus ! 1974, le groupe s’installe en Californie. Bob Welsh part, arrivent alors Buckingham and Nicks. Rhiannon joue les figures de proue d’un nouveau style, et ça marche. Puis ce sera la folie Rumours, saupoudrée de tubes et de coke, suivie de l’ambitieux Tusk. Dans cette histoire s’étalant sur quatre décennies, une chose est sûre (et rare) : Robert Christgau, célèbre critique rock connu pour avoir la dent dure doublée d’un sens de la formule ravageur, fera toujours preuve de constance avec les albums de Fleetwood Mac, leur décernant A (+ et -) et B (+ et -) entre 1969 et 1987. Et Future Games comme Bare Tree ne dérogent pas à la règle. Ils le valent largement. 

Fleetwood Mac, Future Games – Bare Trees (Reprise Records)

future-games.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=e2GQm5TFnDs

bare-trees-2.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=Y8hQKSmHBCI

 

 

 

 

 

 


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