Thin Lizzy, pop en tête de Lynott

par Adehoum Arbane  le 08.05.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Des groupes de hard ayant le plus flirté avec la pop, l’histoire aura retenu Queen. Horreur ! Pourtant, il en existe un pas moins important et qui aura livré en cette fin de seventies flamboyantes – et parfois, avouons-le, décadentes – une série d’albums impeccables et surtout, impeccablement écrits. Il s’agit de Thin Lizzy. Dans le maquis de leur production, extrayons leur classique – il y en a quelques-uns, rassurez-vous – Jailbreak. Constat flagrant dès la première écoute. Si la particularité citée en introduction le déclassa provisoirement du peloton de tête, il existe d’autres raisons plus profondes qui contribuèrent à faire de Thin Lizzy une bande à part : un groupe de hard rock irlandais, mené par un bassiste – Phil Lynott – qui plus est noir, enfin né d’un père originaire de la Guyane anglaise. Ajoutez à cela un penchant pour les chansons qui vont droit au cœur, bien que viriles en apparence, et vous avez le cas Thin Lizzy. Un ovni au milieu des mastodontes Led Zep, Deep Purple, Black Sabbath, UFO, Uriah Heep. Sixième album du groupe, arrivé dans les bacs le 26 mars 1976, Jailbreak dénote avec sa pochette résolument comics. Et encore, vous n’en savez (peut-être) rien mais comme le prétend la formule, le meilleur est à l’intérieur. Au milieu des grands navires de métal, on trouve quelques savants refrains imaginés pour séduire, depuis les ondes, la jeunesse du monde libre. Unique singer-songwriter de la formation, Lynott se montre un brillant mélodiste, de ceux qui peuvent passer d’un registre à l’autre sans se perdre, sans trahir leur héritage, ni sombrer dans le ridicule absolu. De ses racines créoles, il tire - désolé pour le cliché ! - un sens du groove qui a donné à Thin Lizzy cette couleur si particulière, presque soul (le sautillant Running Back). Sans crier gare ni relâcher la pression, Lynott nous sort une chanson, une grande, limpide, passionnée, au refrain inénarrable, Romeo and the Lonely Girl. Certes, on navigue à quelques grosses encablures du Hard Rock traditionnel, et ça n’est pas peu dire. Peu lui importe, Thin Lizzy a le toupet et le cran d’y retourner, comme ça, comme s’il n’y avait jamais eu délit, avec un morceau de fin de face au titre dans la plaque, Warriors. Choix basique, efficace mais là encore, la voix de Lynott fait des merveilles. On l’a dit, l’homme est capable de tout et avec plus de classe et de crédibilité que Freddy Mercury. De plus, Scott Gorham s’avère un guitariste supérieur à Brian May, plus roboratif en tout cas. Et puis, en un changement de face, on en revient au tube, et celui-ci s’annonce bien meilleur, franchissant un cap dans le génie : il s’agit de Boys Are Back in Town. Rien que le titre dit tout, mettant direct les pieds dans le plat et ce pour notre plus grand plaisir. On a passé cette vérité sous silence mais le hard des seventies reste un genre plus connu pour ses assauts soniques, ses déflagrations électriques que sa science de l’écriture. Et vlan puisque l’on parle d’écriture, prenez Fight or Fall en pleine poire ! Même s’il s’agit d’un mid-tempo à la cool, d’une ballade ondoyante, celle-ci apparaît une fois de plus révélatrice du style Lynott. Plein de morgue et de charme. Comme s’il n’avait pas tout sorti et y compris le grand jeu, Phil déboule avec Cowboy Song, long récit épique traversant mille et un traitements, chamboulé autant que faire se peut, et il faut dire que la sauce prend. ÇA MARCHE ! Le chanteur se payant aussi le luxe de la petite référence à Romeo and the Lonely Girl, détail plutôt malin. À quoi tient cette réussite ? Sans doute parce que les musiciens ne s’éloignent jamais trop de leurs fondamentaux. Chez eux, du moins sur cet album, pas de tentation funk, disco, progressive ou autre. On pourrait résumer les choses ainsi, Thin Lizzy a inventé un hard rock qui swingue. Un métal boréal. Tout ça enregistré à Londres où l’aridité irlandaise mêlée à la chaleur dublinoise, celle des pubs, devait sans doute être présente dans leurs esprits. Même combat, la face b et l’album s’achèvent comme la précédente, c’est-à-dire sur un morceau de pur hard, Emerald, joyau taillé à la hache – non, à la six-cordes –, lacéré de riffs, chanté avec force et conviction. Un solo envahit alors l’espace, tel une déchirure dans le ciel, ultime éclair, ultime coup d’épée dans le haut. La consécration viendra avec le désormais célèbre – la pochette, LA POCHETTE ! – Live and Dangerous qui montra à quel point Thin Lizzy en avait sous le pied, de la partition gravée en studio jusqu’à la scène. Et tout ça grâce au rôle fédérateur de la pop. Top !

Thin Lizzy, Jailbreak (Vertigo)

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