Syd Barrett, white light

par Adehoum Arbane  le 01.05.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

La culpabilité postcoloniale a généré son lot d’imbécilités dont celle-ci : en déclinant opportunément les codes du rock, le petit blanc aurait spolié l’afro-américain. Certes, sans le blues il n’y aurait pas de rock, sans Muddy Waters donc pas d’Elvis, et sans Elvis pas de Stones ni de Beatles. Les pierres qui roulent sauront d’ailleurs célébrer la mémoire des bluesmen – que Keith, Mick et Brian vénéraient – en lâchant le psychédélisme provisoire pour assumer l’unique musique pour laquelle ils étaient faits. Cependant, il serait stupide, soit, mais aussi historiquement faux de rappeler sans cesse la pop blanche à ses racines blues, donc noires. Parce qu’un pan entier s’en détourna jadis, embrassant un idiome musical baigné d’influences fondamentalement anglaises, et obligeant ainsi certaines références à s’estomper progressivement. Cette musique-là prend source dans les cantiques qu’on chantait le dimanche dans les églises anglicanes, dans ces nursery rhymes que l’on fredonnait à ses enfants pour les endormir, des comptines toutes à la fois tendres et acides, et qui pouvaient autant caresser le merveilleux que faire surgir des petits tableaux cauchemardesques. Cet art typiquement britannique aura ainsi conditionné une ribambelle de mioches, futurs génies de la pop comme Kevin Ayers, Richard Sinclair, Peter Gabriel et bien sûr l’incontournable Syd Barrett. Bien que ce dernier emprunta le nom de sa formation à deux bluesmen méconnus, Pink Anderson et Floyd Council, le comparaison s’arrête là. Oh, on trouvera peut-être sur son premier effort, Piper At The Gates of Dawn, quelques riffs ou motifs échappés du Delta, notons pour faire plaisir aux esprits chagrins le riff de Lucifer Sam, l’intro nerveuse de Interstellar Overdrive, mais nous n’irons pas plus loin. Trois ans après avoir quitté en plein vol le Floyd, Syd Barrett renait – si l’on ose dire – discographiquement parlant. Avec The Madcap Laughs sorti le 3 janvier 1970 précédant le sobrement intitulé Barrett, publié lui le 14 novembre de la même année.  Si des morceaux comme Terrapin, No Good Trying, No Man's Land sur le premier, ou Maisie et Gigolo Aunt sur le suivant se rapprochent des structures traditionnelles du rock – donc de quoi vous savez –, le reste dénote ! Ces chansons hantées tranchent d’ailleurs avec la production pop alors en vigueur. Sans entrer dans le détail de l’Histoire, sans s’appesantir sur les éléments biographiques du musicien, son rapport à la drogue et sa folie qui expliquent en partie l’esprit – c’est un euphémisme – de ses chansons, on préfèrera appuyer l’analyse sur l’ossature même des quelques derniers ovnis nés de sa plume. Non content d’explorer une poésie décalée comme seuls les anglais savent le faire, Barrett écrit comme personne, se permettant de changer dans un même morceau les grilles d’accord, cultivant l’art de la chute, du renversement harmonique. Tout comme les libertés qu’il prend dans la métrique – Gainsbourg en fit de même, au passage – ont permis de singulariser une musique qui aurait pu, de prime abord, sonner conventionnelle. Et de façonner ainsi des chefs-d’œuvre ahurissants, des vignettes dirions-nous mais le terme paraît si réducteur à l’écoute de chansons traumatiques comme Golden Hair, Long Gone, Dark Globe dont l’interprétation glace les sangs tant elle transpire la solitude psychique du bonhomme, sans parler du faux départ extrêmement touchant de If It's In You. Le deuxième album sonne de façon plus propre, plus cohérente – Baby Lemonade, Dominoes et le couple Waving My Arms In The Air/ I Never Lied To You –, cela ne l’empêche pas de proposer quelques digressions angoissantes, proches de la démence, comme Rats ou Wolfpack. Paroxysme absolu de la geste barrettienne, Opel s’étale sur plus de six minutes, offrant pour notre plus grand bonheur – notre plus infinie tristesse – ce son de médiator ramolli qui reste un héritage pop à lui tout seul comme le furent les guitares douze corde et leur notes carillonnantes. En deux albums solos et quelques démos, la musique de Barrett s’apparente à un continent inconnu, un dédale dans lequel on rêve de se perdre, comme si nos pas étaient englués dans les circonvolutions potelées de son cerveau malade. Sans toujours en dépasser la durée, Syd Barrett sut réinvente le format de la chanson pop, il la passa dans le shaker de ses idées absurdes qui, jetées ainsi, prenaient des formes absolument merveilleuses, splendides, effarantes de beauté et d’honnêteté. C’est peut-être en cela que l’on pourrait éventuellement le rattacher au blues. Sans doute en entendant la consternante repentance qui hante nos sociétés modernes ou en lisant ces mots aurait-il éclaté en mille morceaux de rires écervelés. C’était Syd. Pas un rockeur, ni un blueseux, un être inclassable… Et un être humain avant tout.

Syd Barrett, The Madcap Laughs/Barrett (Emi-Harvest)

syd barrett pochette.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=Mhwmtj7kyi4

https://www.youtube.com/watch?v=W5Ky2ZB7vWY

 

 

 

 

 

 


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