Roxy Music, rock sidérant

par Adehoum Arbane  le 17.04.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Connaissez-vous l’histoire de Byron Ferrari ? Elle nous vient de deux journalistes du NME qui n’aimaient rien tant que malmener leur idole, Bryan Ferry, leader de Roxy Music. Une anagramme ou presque résumant parfaitement la musique que propose le groupe, ce 16 juin 1972 : extrême sensibilité sous les lignes nerveuses d’un bolide fuselé. Peu de groupes peuvent ainsi se targuer d’avoir poussé à son summum la notion d’esthétique. Le Velvet bien sûr, mais c’était une autre époque. Les années 70 furent l’objet de moult révolutions, réinventions, explorations et Roxy Music aura été de toutes ces batailles. L’image ne tient pas seulement à la cohabitation entre des morceaux courts, séduisants et d’autres, à la structure plus ambitieuse, non. La force de Roxy Music fut d’arriver tardivement, à un moment où tous les grands mouvements étaient en marche – ! –, avec un premier album inclassable. Donc nouveau. Comme si cette nouveauté avait été à la base d’un malentendu, car comment la qualifier ? Glam comme Bowie, prog comme Genesis ? On a employé à l’endroit de Roxy Music et souvent abusivement le terme de décadence. Alors que c’est tout le contraire. Ce premier essai éponyme – et déjà un chef-d’œuvre – marque un aboutissement alors qu’il a été enregistré, ô paradoxe, en quinze jours. Si l’on se penche sur le pressage américain qui intègre le scintillant single Virginia Plain, on tient la martingale. À savoir un songwriting peu orthodoxe qui se joue souvent de la sainte règle couplet-refrain, des musiciens venant d’horizons différents, apportant avec eux un instrument ou une manière d’en jouer originale – le hautbois de Andy Mackay, les synthés parsemés au compte-goutte de Brian Eno. Il faut ajouter le jeu de guitare sobre et tranchant de Manzanera, un copain de Wyatt, une section rythmique au service des solistes et, ET la voix de Bryan Ferry. Une sorte de muezzin européen – avec son vrai faux accent anglais dont les trémolos valent autant que les déhanchements de cuivres dans la définition du son "Roxy Music". Bryan Ferry s’impose comme le songwriter exclusif même si musique et arrangements relèvent du collectif. De cette discipline ils vont tirer une énergie que l’on ressent, telle une décharge, dès les premières minutes (Re-Make Re-Model). Ladytron prend le relai mais en prenant son temps, le morceau ne démarrant qu’au bout d’une minute et trente secondes. Le final permet à Eno de briller, tout en contenant son art comme s’il le filtrait dans un alambic. Comment le groupe a-t-il pu abriter autant de personnalités sans se laisser déborder, c’est là un mystère ! If There Is Something décrit à lui seul la complexité de Roxy Music avec son entame countrysante très Stones – période Exile On Main Street – pour déraper avant la dernière minute vers un thème à la limite du déchirant, chœurs virils sur la fin. Vient alors s’intercaler le génial Virginia Plain, avec son hautbois caracolant, ses synthés en décoction et sa dernière partie presque techno, très dancefloor – merci à Brian Eno. 2HB débute comme du Soft Machine pour retrouver de jolies couleurs grâce aux roucoulements de Ferry qui donne à cet hymne, hommage à Humphrey Bogart, un charme indéfinissable. Le nom du groupe est d’ailleurs un clin d’œil aux vieux cinémas et autres salles de bal d’antan. The Bob (Medley) – Battle Of Britain – ouvre la face 2 sur une note expérimentale, entrecoupée de thèmes rock ou pop. Chance Meeting réussit la gageure de faire du neuf – l’apesanteur plombante de la guitare – avec de l’ancien – sa référence à un vieux film de David Lean, Brief Encounter, drame romantique et social. Puis Roxy enchaîne sur un bon vieux rock fifties, Would You Believe, qui redonne de l’élan avant les sept minutes aquatiques et sublimes de Sea Breezes. Piano électrique, hautbois et guitare pointilliste forment la trame de cette chanson presque médiévale tant l’étrangeté qui s’en dégage nous étreint. Il faudra ce pont plus rock, quoique, pour nous sortir de cette douce torpeur océanique. Une fois n’est pas coutume, Roxy Music nous prend à revers avec un morceau presque doo-wop, Bitters End. On sort estomaqué de cet album qui synthétise à peu près tout en changeant radicalement TOUT. Porté par cette première réussite, le groupe réalise l’exploit de faire aussi bien si ce n’est mieux. L’année d’après, For Your Pleasure reprend la même recette, mais en la poussant plus loin dans la cohérence stylistique : pochette noire, ambiances sourdes, tantôt moites (The Bogus Man, For Your Pleasure), tantôt lugubres (Strictly Confidential, In Every Dream Home A Heartache), sans oublier l’efficacité des singles (Do The Strand, Editions Of You), tirés comme des canifs dans la nuit urbaine où règne déjà la reine Lear ! En cette année 73 qui voit pourtant le départ de Brian Eno, le groupe ne se démonte pas et délivre en plus de For Your Pleasure, Stranded. La pochette très soignée montre la playmate Marylin Cole étalée dans la boue d’une jungle de studio photo. Jungle que l’on retrouve sur Country Life, avec ses deux mannequins nues – une telle pochette ne pourrait plus passer aujourd’hui ! –, Eveline Grunwald et Constanze Karoli (cousine du guitariste de CAN). Bien que Bryan Ferry partage l’écriture avec Mackay et Manzanera et qu’un nouveau musicien ait fait son entrée – le violoniste Eddie Jobson –, l’album passe d’un classique à l’autre sans hésiter ni ralentir. La première face qui enfile à vitesse grand V The Thrill of It All, le baroque Three and Nine, All I Want Is You et surtout Out of the Blue, montre Roxy Music sous son meilleur jour. Bien sûr, à force d’écoutes et de persévérance, le reste s’avère à l’avenant. On retiendra l’émouvant Bitter-Sweet, l’élisabéthain Triptych et le nerveux Prairie Rose, dédié à Jerry Hall dont Ferry était éperdument amoureux. Nous n’irons pas plus loin dans la discographie du groupe qui vécut la séparation en 76 pour se reformer deux années plus tard. Même si les albums suivants ne brillent pas du même feu inspirationnel, Roxy s’achemine doucement vers la production mainstream avec, à son actif, des tubes comme Love Is The Drug et surtout Avalon. Malgré les stigmates de l’époque, ce dernier hit, tel un baroud d’honneur, annonce brillamment la carrière solo de Ferry. Longtemps qualifié de Art-rock ou de glam pop, voire de progressif, Roxy a su dépasser les étiquettes que l’on colle habituellement pour produire une musique rock sidérante… d’inventivité.

Roxy Music, Roxy Music (Island)

roxy pochette.jpg

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