Il Balletto di Bronzo, latin killer

par Adehoum Arbane  le 03.04.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Au mitant de sa vie, il est parfois logique de rechercher la transgression. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, mais dans l’immense majorité des cas le besoin de tout remettre en question passe par un psychotrope. Plus que toute autre substance, le LSD incarne bien la mère de toutes les drogues. Mais attention, il convient d’observer quelques recommandations salvatrices, avant de débuter l’aventure. Ainsi, le novice devra être absolument accompagné dans son trip, ses guides auront pour responsabilité de créer les conditions idéales qui lui permettront de « monter » sereinement et, une fois au sommet de l’expérience, de baigner dans un océan d’extase. Parmi ces règles simples – mais essentielles –, le choix de la musique. C’est pour cela que l’on déconseillera fortement l’écoute de YS, deuxième opus du groupe de prog rock italien Il Balletto di Bronzo. Car il s’agit sans doute de l’album le plus fou, le plus déviant que le mouvement, pourtant prolixe en démence conceptuelle, ait connu ! L’égal de In The Court Of The Crimson King pour le mixe savant entre rock, jazz et passages expérimentaux et de Pawn Hearts de VDGG pour la vision cauchemardesque – mais qu’il a heureusement su dépasser. Rien à voir de même avec Goblin qui incarne pour la postérité le groupe des BO de Dario Argento. L’horreur indicible de ce ballet de bronze tient à l’ambiance que les musiciens instaurent dans chacune des cinq parties de YS, qui galope sans laisser de répit. Surtout, Il Balletto di Bronzo ose les rencontres les plus inattendues, comme ces cœurs sur Introduzione et cette guitare morriconienne sur Primo Incontro, qui s’entortille, file, froide et livide, comme une trouille. De même il va chercher loin, c’est-à-dire par-delà les frontières du genre des références qui servent la folie orageuse de la musique. Ainsi en est-il de la voix du chanteur organiste, Gianni Leone, dont le timbre fait immédiatement songer à un Ian Gillian latin. On reproche à certains groupes prog italiens l’absence d’un vrai chanteur, mais c’est un mauvais procès ! Quand beaucoup singent les barytons de l’opéra classique, Leone, lui, se différencie par sa capacité à s’adapter aux contingences conceptuelles de ses compositions. Mais la vraie force de YS tient dans sa perpétuelle inventivité, sa volonté de se renouveler, de toujours surprendre. Ainsi, pas vraiment de mélodies, de référents pop auxquels se raccrocher mais une forme de transe en continu, à la fois rock – les guitares –, jazz – pour la rythmique d’une très belle élasticité – et la dimension baroque qui surgit de temps à autre, au détour d’une sortie – le clavecin épileptique sur Primo Incontro. Même quand les compositions font mine de s’arrêter, de s’abreuver à la source d’un mellotron afin de reprendre des forces, on ne souhaite qu’une chose : que la course reprenne, que l’extase se poursuive, follement. C’est précisément la construction type de Secondo Incontro, qui oscille entre accalmie suspecte, voire traitre, et envolées psychiatriques – encore une fois cette guitare triturée, remixée sur des nappes d’orgue glaciaires. Le groupe donnant l’impression de ne jamais choisir son camp, rock ou prog, psyché ou symphonique, jazz ou tout simplement free punk ? Sentiment qui se mue en conviction à l’écoute de l’entame de Terzo Incontro, au piano grandiose. Ce parti-pris – la distance avec l’exigence harmonique – confère à YS une singularité, une valeur quasi iconique dans la production italienne pourtant peu dépourvue de classiques, voire même une sorte d’immortalité. Car à brouiller ainsi les codes, l’œuvre reparait aujourd’hui sans une ride, puisque qu’elle n’a rien d’une rivière plane, puisqu’elle n’offre pas le seul et même visage inspirationnel. De cette écoute on ressort vidé, et l’on se surprend à penser qu’il s’agissait de trente sept petites minutes, tant YS demeure un album en tension, une œuvre crépitante. Voire crispante. D’ailleurs, Il Balletto di Bronzo n’y donnera pas suite. Comme si le groupe était allé jusqu’au bout de lui-même, comme si tout projet nouveau lui semblait désormais humainement impossible. Ce disque incroyable incarne donc un sommet – un climax dans le langage critique – mais également et hélas un aboutissement, une fin en soi, une tombée de rideau. C’est une question de décence, et même d’honneur que de refuser de composer après ce qui se trouve être votre magnum opus. Quand bien même vous auriez scellé un pacte avec le diable, un contrat comprenant trois ou quatre albums et les privilèges qui vont avec. Mais non, l’histoire s’arrête là… Et sur cette dernière pensée : un groupe de bronze aura trouvé, dans le tamis de son inspiration, tout l’or du monde.  

Il Balletto di Bronzo, YS (Polydor)

Balletto cover.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=IvPRlXwR9zo

 

 

 

 

 

 

 


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