Barbara Carlotti, vous ne rêvez pas

par Adehoum Arbane  le 24.04.2018  dans la catégorie A new disque in town

Les carnets de rêves… Qui n’a jamais rêvé d’y consigner le souvenir parcellaire des songes de la nuit passée ? Comme les prémices d’une œuvre directement reliée à l’âme, sincère par définition. Barbara Carlotti aura utilisé cette méthode pour composer les nouvelles chansons de son dernier album, Magnétique. En apparence, personne n’aurait fait le rapprochement si l’artiste n’avait expliqué sa démarche créative (Dream Machine, hypnose, réveil sonnant au moment du sommeil paradoxal). Peut-être parce qu’une chanson ne peut être la restitution exacte d’une réalité, fut-elle née dans un rêve. Par son format si particulier, un texte se veut toujours floue, métaphorique, insaisissable et c’est souvent ce qui fait sa force. Lennon dans Strawberry Fields Forever affleure le souvenir de l’orphelinat de Strawberry Fields, situé en face de la maison de sa tante où ce dernier résidait. Pour y arriver, il fallait d’ailleurs emprunter la voie de Penny (Penny Lane). Lennon avait si bien brouillé les cartes que tout le monde y a vu une référence à l’acide. Se méfier des apparences comme dans nos rêves où tout est mouvant. En revanche ce qui fait la singularité de Magnétique se résume dans le parfait équilibre entre des paroles légèrement abstraites, fantaisistes à souhait, et la musique enjouée, directe, pop. Voir les étoiles tomber et Tout ce que tu touches (chantée avec Bertrand Burgalat), participent de cette évidence qui pour le coup évite le piège de l’intellectualisme surréaliste. Ici, on est plus proche de la poésie rudimentaire de Paul Eluard, de l’hermétisme délicat de René Char que des images folles des prosateurs américains comme Ferlinghetti, Bob Kaufman, Gregory Corso, friands eux-aussi d’écritures automatiques. Carlotti mise précisément sur les figures iconiques et oniriques comme sur Vampyr, écrit de la sorte comme pour mieux renvoyer au film de Dreyer, Buñuelien en diable. Même quand elle emprunte des chemins plus « psychédéliques », mais dans un versant européen (Radio mentale sentimentale), elle milite plus pour le sensoriel que pour la volonté de nous faire entrer dans sa psyché, donc dans l’intimité ses nuits. Du reste, son art est-il indissociable. On pourrait ainsi intervertir l’ordre des choses, confondre les mots avec les notes (Plaisir ou agonie ?), n’en percevoir que le son, à la manière de la poésie vers-libriste. Pourquoi chercher un sens à tout cela, laissons-nous plutôt heurter par ce doux carambolage d’expressions, associations saugrenues et de mélodies entre-deux rives. Phénomène composite, Paradise Beach sonnent presque comme des bouts rimés absurdes, et en cela Barbara Carlotti se rapproche de ses homologues britanniques, Small Faces sur Ogdens' Nut Gone Flake (surtout la face B), le Pink Floyd des origines, Soft Machine, Tomorrow (My White Bicycle) et plus récemment Broadcast. La beauté du geste porte si bien son nom que son pont angélique fait, pardonnez l’expression, songer au final éthéré de Flowers and Beads de Iron Butterfly, formation californienne pour l’exception. Même Tu peux dormir semble tendre un doux piège aux amateurs d’exégèses enflammées, trop sérieuses pour être sincères. Finalement, les rêves de Barbara Carlotti sont à l’image de son esprit, un labyrinthe où elle va sciemment perdre l’auditeur, petit Poucet abandonné sans un seul cailloux en poche. Le mot a été lâché, « se perdre ». Il faut accepter ce contrat tacite et un brin surréaliste. Franchir ses méandres onctueux aux basses rondes, poisseuses comme des toiles d’araignée, disparaître à la lisière entre crépuscule et aurore au son diaphane des guitares. Accepter de basculer du français à l’anglais (Bonheurs hybrides) parce qu’aucune règle n’a cours dans un rêve. Aucune logique non plus, si ce n’est celle que sa génitrice aura, bien malgré elle, décidée. « Les mots s’affichent sans discontinuer ». Voilà, on y est. C’est le Manifesto de Carlotti. La promesse de ce cinquième album presque insondable et pourtant évident. Certainement plus mémorisable qu’un rêve s’évanouissant au petit matin. La leçon de magnétique pourrait enfin se synthétiser dans l’alambic de cette citation revisitée : qu’importe le flacon ou la méthode, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Barbara Carlotti, Magnétique (Elektra France)

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