Fairport Convention & disruption

par Adehoum Arbane  le 20.03.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Tout comme le blues, la folk prend sa source dans les musiques traditionnelles de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième et à ce titre, formations et interprètes se sont longtemps bornés à rejouer les classiques, soit des chansons transmises de génération en génération. Dylan fut l’un des premiers folkeux modernes à écrire, allant en cette année 1965 jusqu’à parer ses compositions des atours de l’électricité. Parmi tous les exemples qui suivirent, un groupe se détache qui, lui aussi, décida un jour de se forger son propre répertoire. Il s’agit de Fairport Convention. Comme beaucoup, celui qu’on appela le Jefferson Airplane britannique prend son envol sur le tremplin de l’année 1967. D’abord avec la chanteuse Judy Dyble puis avec Sandy Denny. Autour de ces deux figures féminines – calquées sur le modèle californien pour la variété des harmonies vocales – se greffent les piliers Richard Thompson, Iain Matthews, Ashley Hutchings, Simon Nicol bientôt suivis par le violoniste Dave Swarbrick. Entre 1968 et 1969, soit deux années, le Fairport Convention sortira, prolifique, pas moins de quatre albums, tous d’égale qualité. Certes on y découvre les fameux « traditionnals », ces titres sortis de la nuit des temps, souvent écrits par des inconnus et qui fort justement appartiennent à tous. Des morceaux comme Nottamun Town et She Moves Through The Fair resplendissent littéralement grâce aux idées, à la justesse des arrangements, au panache et la grande maîtrise du tout jeune groupe. Ne l’omettons pas, beaucoup de compositions de Dylan y figurent aussi, mais Fairport n’a pas son pareil pour les transfigurer. La délicatesse de jeu de Thompson, la voix puissante et subtile de Sandy Denny et le violon de Swarbrick donnent un charme certain aux chefs-d’œuvre du minnesotain, qui semblent trouver ici une seconde vie. I'll Keep It With Mine en est l’illustration exigeante et réelle. Cependant, la volonté d’évoluer sur un terrain plus personnel conduit nos jeunes musiciens à se lancer dans la grande aventure du songwriting. Sur What We Did On Our Holidays, sans doute leur album le plus méconnu alors qu’il les montre dans leur diversité et toute leur magie, les contributions des uns comme celles des autres brillent de mille feux. Fotheringay, par exemple, qui ouvre l’album montre les talents de Denny, à la fois comme mélodiste gracieuse et chanteuse extraordinaire. Loin de toutes considérations sexistes, elles sont peu à exceller dans le registre de l’émotion pure. Certaines parmi les plus singulières parvenant même à rivaliser avec leurs homologues masculins. Sandy Denny en fait partie qui fut longtemps surnommée le Robert Plant féminin. Sans elle, The Battle of Evermore ne serait pas le titre bouleversant qu’il est devenu. Revenons à ce deuxième album, se présentant à l’auditeur dans un brouillon foisonnant, raturé, si loin des dentelles qu’il renferme. Comme nous l’avons déjà écrit, on ne pouvait rêver plus belle introduction, et il fallait le blues rusé de Mr Lacey composé par Ashley Hutchings pour prouver à quel point Fairport Convention est à l’aise dans un cadre plus rock, plus dur. Book Song montre une formation capable de trousser des ballades romantiques d’une grande intensité. Le sitar et les quelques effets que Thompson apporte à sa guitare concourent à la réussite et à l’originalité de ce titre ô combien touchant. No Man's Land est emblématique d’un art folk intégré au répertoire du sextet, à l’image de Cajun Woman et Si Tu Dois Partir sur Unhalfbricking et le medley en seconde face de Liege & Lief. Avec son accordéon de foire, son rythme plein d’allant, cet interlude prépare le terrain pour la suite, plus novatrice encore. Après I'll Keep It With Mine, viennent ensuite les psychés Eastern Rain, signé Joni Mitchell, et Nottamun Town. Deux reprises donc, mais rondement menées, ondoyantes et élégantes – LA marque de fabrique de Fairport. Tale In Hard Time et Meet On The Ledge – dues à la plume experte de Richard Thompson – dénotent une maturité évidente de la part du compositeur, la première s’ébrouant comme un standard californien, avec son clavecin discret néanmoins présent, quand l’autre s’affirme comme l’une de ses plus fines créations. Magnifiquement exécutée et chantée –Thompson et Denny en duo –, cette chanson courte et pénétrante est le prototype parfait du titre qui vous donne des frissons, sitôt diffusé. Là, à cet instant, Richard Thompson s’impose comme l’égal de Dylan. L’album s’achève admirablement sur un instrumental, simplissime de beauté irradiante, End Of A Holiday. Bien sûr, le meilleur est à venir. Avec Unhalfbricking et Liege & Lief, Fairport Convention livre des chansons à couper le souffle, des choses si intimement belles, jouées avec une honnêteté confondante, qui mirent une sacrée distance entre le groupe et ses potentiels concurrents. Qui prétendrait se remettre de joyaux comme Genesis Hall, Autopsy, Who Knows Where The Time Goes, Farewell, Farewell ou encore et surtout Crazy Man Michael ? L’entame de Denny, sa voix, son velours, le violon en retrait, les guitares, tout y atteint un niveau de grâce inégalé. Cette merveille compte parmi les exemples marquants de la musique folk anglaise, et de la pop anglo-saxonne en général. Hélas, Sandy Denny quittera le groupe qui produira par la suite quelques jolis disques ; hélas la magie s’en est allée avec sa chanteuse. Après un court passage au sein de Fotheringay (!), celle-ci produirait en solo une discographie confidentielle nantie pourtant de ce morceau fou, déchirant, Late November, sublime comme du Fairport Convention des seventies. Avant de tout plaquer, une fois de plus mais définitivement le 21 avril 1978. Crazy Woman Sandy.

Fairport Convention, What We Did On Our Holidays (Islands)

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https://www.deezer.com/fr/album/248410

 

 

 

 

 

 

 


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