Pearls Before Swine, after Dylan

par Adehoum Arbane  le 02.01.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

On connaît par cœur l’histoire de la conversion de Dylan à l’électricité. Et les chefs-d’œuvre qui s’en suivirent. De même, inutile de pérorer davantage sur l’accident de moto qui, en cette année 67, stoppa provisoirement sa carrière. Avec pour conséquence un retour aux sources country en même temps qu’un retour aux studios. Il aura donc suffi d’un méchant coup de destin pour que Dylan « rate » la révolution psychédélique. Ce rendez-vous, un autre groupe l’a honoré pour lui. Les Pearls Before Swine (Des Perles Aux Pourceaux !) du folkeux Tom Rapp livre un premier album qui donne un juste aperçu de ce que Dylan aurait fait avec le matériau psychédélique. Il est cocasse de noter que la jeune formation de Floride livre sur son premier album enregistré à NYC – le chef d’œuvre absolu qu’est One Nation Underground – une chanson purement dylanienne : le très rock Uncle John. Pour le reste, les neuf titres non cités oscillent entre le beau et le très beau, voire, à certains moments distillés avec talent, le sublime. Oh bien sûr, si la musique conserve son mantra folk, elle le transcende largement par ses arrangements de cristal. C’est Another Time qui ouvre le bal. Qui ouvre, enfin, le mot est mal choisi puisque la chanson parle de la mort. Mais toute en délicatesse, comme si cette dernière n’était qu’un mauvais rêve, qu’après notre dernier soupir nous irions nous réveiller. D’une ballade diaphane, Tom Rapp nous guide vers un morceau plus joyeux, au farfisa rigolard (Playmate). Ballad To An Amber Lady est le premier chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre, de ces chansons qui tiennent à un fil : ici quelques arpèges de guitare acoustique, la voix, des chœurs et des tintements de-ci de-là contribuent à la magie de l’ensemble. (Oh Dear) Miss Morse est une boutade d’à peine deux minutes, une chanson fanfaronne qui permet d’équilibrer cette première face. Celle-ci se referme comme un grimoire sur le très beau et simple Drop Out, chanson aux magnifiques couplets et refrains, et d’une tendresse rare pour un groupe de la scène new-yorkaise ! Tout y est exquis, même le chuintement de Tom Rapp ne constitue en soi rien de rédhibitoire. Face B, on trouve Morning Song et Regions Of May. Ces deux chansons semblent répondre à ce célèbre vers de Lamartine, « Oh temps suspends ton vol ». Sur Regions Of May, le dénuement des arrangements frise l’abstraction. On navigue dans quelque chose de vaporeux, d’indéfinissable, d’ineffable. Passent Uncle John, qui pourrait donc se voir rebaptiser Uncle Bob, puis I Shall Not Care dont le changement de ton inaugure le versant le plus psychédélique du groupe. Cet assemblage en forme de puzzle free retrouve les rivages mélodiques du début, et le folk traditionnel auquel Rapp nous avait habitué. Avec sa batterie d’infanterie, The Surrealist Waltz valse jusqu’à la fin, jusqu’à la mort (du disque si l’on ose dire). Bien qu’intégralement électrique, ce final conserve tout son pouvoir d’envoutement qui est, vous l’aurez compris, la marque de l’album. Chose relativement logique puisque le disque a été publié par le label free jazz, ESP Disk. Enfin, les Pearls Before Swine ont retenu le jardin des délices de Jérôme Bosch pour illustrer leur musique. Ce n’est bien évidemment pas un choix au hasard tant ce disque réussi de bout en bout évoque à merveille le passé. Un passé fantasmé. Médiéval. Peut-être effrayant en pochette mais en vérité si raffiné. De l’autre côté de l’Atlantique, on donna un nom à cette musique : acid folk. Elle avait ses héros, Robin Williamson et Mike Heron du Incredible String Band qui la même année avait sorti leur deuxième album et premier chef-d’œuvre, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. Les musiciens de Pearls Before Swine sont un peu leurs cousins. Cousinage évident de par l’étrangeté de leur musique, qui tient du songe. One Nation Underground est ainsi un disque empli de mystères, à l’onirisme scintillant quand il n’est pas brumeux. Un album de murmures comme autant de sortilèges qui, déroulées en adjurations mélodiques, finissent par nous atteindre au plus profond de nous-même, jusqu’à la révélation. Il le fait avec d’autant plus de talent qu’il évite le piège du cliché « orientaliste ». Point de sitar ou de tablas – au contraire de l’ISB qui a pourtant su judicieusement puiser dans l’instrumentarium mondial pour mettre en forme ses vignettes originales. Seule la force de l’écriture – paroles et musique – confère aura et majesté aux chansons du groupe dont la grande majorité est due à la plume sensible de Tom Rapp, ménestrel mélancolique mais inspiré. Chaque musicien vient apporter en pointilliste délicat un léger bourdon, une trame d’orgue, un accord discret de banjo, un cor anglais solitaire ou quelques caresses de balaie sur les peaux de la caisse-claire. C’est ainsi une œuvre totale, mobilisant l’auditeur par une approche très visuelle. À ce propos, plus encore que les œuvres de Bosch, ce sont les tableaux de Bruegel l’Ancien qui correspondent idéalement à l’intemporelle beauté de One Nation Undeground. Surtout Chasseurs dans la neige, comme si la nature elle-même était capable de donner à un village, un vallon un caractère fantasmagorique. Voilà pourquoi on entre ici comme dans un tableau. On écoute et on observe. On sent la craquelure des pigments autant que des instruments. Plus que l’encens et la menthe poivrée, un parfum capiteux de térébenthine envahit l’atmosphère. C’est un voyage de tous les sens.  

Pearls Before Swine, One Nation Underground (ESP Disk)

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https://www.youtube.com/watch?v=Qz1YF6qP2Ik

 

 

 

 

 

 


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