Incredible String Band, mages et images

par Adehoum Arbane  le 23.01.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Le pouvoir de l’évocation ! À l’heure du marketing digital, la remarque pourrait paraître incongrue. Voire tomber à côté. Nous avons déjà oublié – et c’est somme toute normal – qu’il y eut une époque autre, avant l’avènement des chaînes de vidéos en ligne, des réseaux sociaux, des téléphones aussi intelligents qu’intrusifs, dont l’effronterie consiste à capter pour l’éternité un moment, une situation – voire le dérapage de trop. Avant cela donc, les artistes pop n’avaient pour seul média que les pochettes de leurs albums, et pour les mieux nantis – des pop star ayant passé le barrage de la confidentialité avec succès – les séances photos pour les magazines en vue, Rolling Stones, NME… Dans un bac à disques garni de nouveautés, un Lp devait trancher, littéralement sauter aux yeux. Voilà pourquoi les premiers graphistes de l’ère pop rivalisèrent d’imagination, d’audace pour dépeindre d’un seul bloc un style musical. Pour ne jamais laisser une œuvre sous le boisseau, il fallait créer l’impact. Étrangement, le troisième album de l’Incredible String Band, The Hangman’s Beautiful Daughter, n’a pas repris pour son artwork les mêmes codes naïfs, exubérants que sur The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. Cependant, la photo choisie exerce un certain pouvoir. Peut-être pour son interprétation de la culture hippie, la tribu, la vie en communauté mais ici, les choses sont légèrement différentes. Plus troublantes. D’abord cette forêt en automne avec ses arbres dénudés, recroquevillés, puis les personnages en eux-mêmes qui entourent Robin Williamson et Mike Heron, les deux leaders. On pense au poème de Baudelaire, Bohémiens en voyage. Sont-ce des comédiens de théâtre itinérants, des saltimbanques en goguette ? On ne sait trop. On en viendrait presque à troquer le on, dans un jeu de bonneteau de cour des miracles, contre le je, céder à cette facilité autofictionnelle pour dire, raconter, crier à quel point cette photo, extraite d’une encyclopédie sur le rock – elle même cachée dans une bibliothèque de banlieue –, m’avait immédiatement frappée. Curieux, j’avais entrepris de découvrir quelle musique pouvait bien se cacher derrière ce portrait de famille, en vérité les amis de nos musiciens. Qu’elle ne fut pas ma surprise ! Reprenons les choses comme il se doit, en remisant le je dans un coffre de grenier. Cette image illustre la merveilleuse singularité de cette musique, folk mais pas que, acide à chaque seconde. Mieux, celle-ci entre en résonnance avec la beauté, la magie de ces authentiques chansons de geste, puisant leur inspiration là où les vents les ont poussées, de l’Écosse, terre natale de l’ISB, aux confins du monde. La variété des registres musicaux, de la pop au piano de The Minotaur's Song au raga fascinant de Three Is A Green Crown, tout est merveilleux, éclatant en mille kaléidoscopes sensoriels et harmoniques. Cette impression de splendeur, quasi tactile, ne doit pas seulement à l’instrumentarium, même si ce dernier charme par son attelage sans fin aux noms inconnus : oud marocain, sitar, gimbri, flûte de pan, chahanai, water harp (!), sans oublier les fabuleux compagnons des folkeux, dulcimer, mandoline, jew’s harp aussi appelé guimbarde et le clavecin. On peut le dire, Williamson et Heron ont poussé plus loin les influences indiennes que George Harrison étrenna le premier sur Revolver et Sgt. Pepper’s. Leurs chansons diffusent un sentiment, quelque chose de chamanique, de planant sans tomber dans les clichés de Love You To ou Within You Without You. Encore une fois, c’est l’écriture qui leur donne, plus qu’un cachet, une aura. Prenez Koeeoaddi There, le morceau placé en introduction. La complexité de la composition, la richesse, les idées qu’elle recèle, pose d’emblée le niveau. Comme pour Macca-Lennon, les deux jeunes musiciens se partagent le songwriting, l’un intervenant au second plan des chansons de l’autre. Chacun possède son style mais, tous les deux s’entendent pour créer une seule et même osmose spirituelle qui se ressent à chaque note. Quand Robin propose des joyaux comme le très court Witches Hat – la mélodie obsédante – ou Waltz Of The New Moon – l’un des chefs-d’œuvre de cet album –, Mike répond avec style avec le dylanien Mercy I Cry City, le très pénétrant Swift As The Wind – la voix plaintive – et la mini-suite – treize minutes quand même – au titre tout empreint de non-sens britannique, A Very Cellular Song. Celle-ci synthétise tout l’art de l’ISB, la folk narrative, les clins d’œil subtils au psychédélisme de l’époque et les influences médiévales. Il ne faudrait pas passer sous silence les talents de paroliers des deux hommes. Écoutez attentivement les textes, suivez-les au dos de la pochette pour ne rien rater de ces délicats poèmes mis en musique. Encore une fois, on est bien dans la tradition anglaise avec ses collages de mots, véritables carambolages d’images saugrenues, expressionnistes en diable : « I hear that the Emperor of China/Used to wear iron shoes with ease/Were are the tablecloth and also the table/Also the fable of the dancing leaves. » Certains prétendent encore que la pop est futile, écervelée… Le Lp se referme sur Nightfall, composition limpide de Robin comme pour purifier l’auditeur après ce trip acide – sans électricité ! – et pourtant au combien éclectique. Petit retour du je : The Hangman's Beautiful Daughter s’avère à n’en point douter mon album préféré de l’Incredible String Band, celui qui me parla le plus, de suite. Même si The 5000 Spirits en constitue un extraordinaire prélude, et Wee Tam et The Big Huge une délicieuse conclusion. Avec Stand Up de Jethro Tull, Mr Fantasy de Traffic, Rock Bottom de Wyatt, Third de Soft Machine, The Hangman’s compte aussi parmi mes œuvres pop favorites pour sa dimension initiatique, personnelle et mémorielle au sens proustien du terme. Une madeleine cependant trempée dans l’acide, mais une madeleine quand même.

Incredible String Band, The Hangman’s Beautiful Daughter (Elektra)

The hangman pochette.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=DgQuVeMOyAk

 

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top