Matthieu Malon, froideur des sentiments ?

par Adehoum Arbane  le 19.12.2017  dans la catégorie A new disque in town

D’ordinaire, la simple évocation des sentiments – ce que l’on appelait autrefois l’amour courtois – collerait plus naturellement au registre musical de la folk, cette forme personnelle et délicate qui convient si bien à l’épanchement de l’âme. Chez Matthieu Malon, cet épanchement existe, mais c’est un véritable torrent de lave. Dans l’hiver du cœur certes, mais un torrent de lave malgré tout. Malin, Malon évite le cliché de la déprime faite musique. Il le fait tout au long de ce quatrième album en plantant ainsi le décor. Alternance entre morceaux courts – voire très –, à la coloration pop, et morceaux plus longs, propices à l’expérimentation autant qu’à la réflexion. Savant dosage entre le chant parlé – à la manière d’un Daniel Darc – et le chant traditionnel. Fugue, pour n’évoquer que cette chanson, a la judicieuse idée de mêler les deux. Ainsi, le musicien échappe-t-il au piège des références trop évidentes. Le masque tombe et au sens noble du terme, dévoilant derrière ce visage au cuir épais, tanné par les vicissitudes de la vie, un homme aux multiples fêlures transfigurées par une voix qui ne lui ressemble pas. Une voix presque blême, plus tout à fait adolescente – quoique – à la fragilité touchante. Elle plane au-dessus de cet enfer sonore-sonique patiemment échafaudé, mélange semble-t-il ouvragé entre claviers, nappes et le feu des guitares. À l'électron est emblématique de ce travail, les paroles novelisant tout comme le Velvet sur The Gift, des histoires d’amours bancales prenant leur source folle dans ces banlieues sommaires mais industrieuses que nous avons, au fond, tous connues. La coureuse ne flanche pas, au contraire. Matthieu Malon déroule en catimini son standard pop en diable. Vénéneux, ce dernier décrit les atermoiements existentiels – et surtout sexuels – ressentis naguère face à ces jeunes filles si lointaines qu’on les désirait d’autant plus. Mieux, Matthieu explore la période contemporaine où l’amour se vit en digital, avec force smileys et autres émoticons. Avec impudeur, il cite de ces expressions qui font mal, « divorce », « match », « tchat, webcam », et embrasse dès lors les contours sombres d’une époque à bout de souffle. Son miroir ne déforme en rien notre réalité, au contraire il la révèle avec crudité. Crudité à laquelle le rock, dans sa dimension électrique, se veut la meilleure réponse. Réalisme, candeur, Malon évolue constamment dans cet entre-deux thématique qui lui vaut aujourd’hui d’émerger, à grands coups de sincérité. Et pourtant Malon n’en est pas, pardonnez l’expression, à son « coup » d’essai. Pour dire vrai, on n’a pas forcément besoin de son replonger dans l’existant de sa discographie pour apprécier ses chansons devant lesquelles l’auditeur mainstream, s’il en était informé, tomberait largement en syncope. Il réussit le défi de parler à tous : les branchés, les prolos, les quadras, les mères célibataires, les jeunes de province. Pour un peu, Malon se retrouverait dans la BO de Skins. On pense aussi au long métrage Grave, tant Désamour relève de l’objet atypique, carné, séduisant autant que dérangeant. Mais jamais ce succès d’estime ne lui monte à la tête. Discret, cet artiste inclassable existe littéralement dans une production française qui parvient à se réinventer côté chanson française – d’obédience mélodique – mais qui tente de survivre à l’ère post-Noir Désir. En cela, Malon renoue avec un rock nineties revêche et romantique, violent et tendre qu’incarnaient si magnifiquement nos amis d’Outre-Manche – Joy Division, Cure, Bauhaus – et d’Outre-Atlantique – Hüsker Dü, Nirvana, Pixies. Il le fait en dépassant une certaine tradition poétique française qui, paradoxalement, n’a que très peu convaincu. Mais arrêtons là les citations puisqu’elles réduisent. Alors que la musique de Malon, si froidement bouillonnante, ouvre l’espace avec ses chansons scalpels pour saigner abondamment. C’est ainsi. Comme si chaque chanson avait échappé à son géniteur. Relâchée dans la nature comme une bête, qui vous happe ensuite si d’aventure vous baissez la garde. Regardez donc très attentivement la pochette : qui sait, arriverez-vous peut-être à la distinguer dans ce flou tressé de noir et de gris. Mais l’on vous prévient. Si tel est le cas, c’est qu’il est déjà trop tard. Vous serez alors sous l’empire de Malon.

Matthieu Malon, Désamour (Monopsone)

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https://matthieumalon.bandcamp.com/album/d-samour

Photos : Stéphane Merveille

https://www.facebook.com/stephane.merveille.photographies/?pnref=lhc

 

 

 

 

 

 


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