Daho et la psyché

par Adehoum Arbane  le 12.12.2017  dans la catégorie A new disque in town

Dans le célèbre conte de Charles Perrault, le Petit Poucet et ses frères sont abandonnés en forêt par des parents trop pauvres pour les nourrir. Au courant du terrible sort qui les attend, Poucet a l’intelligence de semer des cailloux qui permettront à la fratrie de retrouver son chemin. On peut reprendre cette symbolique à bon compte au sujet d’Étienne Daho qui nous revient, comme Poucet, avec un nouvel album, Blitz. Dès la première écoute, c’est peu dire que le registre psyché en bourdons de fuzz étonne quand on connaît son amour immodéré pour la belle pop solaire – le mot est certes réducteur, mais approprié ! On le sait, Daho aime à se renouveler. Mais là, il s’agit d’un saut dans l’inconnu. Quel lien unit Week-end à Rome et Les filles du Canyon ? On se sentirait presque gêné, du moins déboussolé par ce changement de pied, toutes pédales d’effet dehors ! Cette chanson étalon, placée en ouverture, serait ainsi son I Had Too Much To Dream Last Night à lui ? Voilà pourquoi il faut revenir au conte de Perrault. Et remonter aussi loin que possible dans la discographie et la vie de l’artiste – les deux sont intimement liées – pour démêler l’écheveau complexe qui a conduit à Blitz. Daho aurait semé des petits cailloux depuis ses premiers pas musicaux, entre Rennes et Paris, qui l’ont guidé vers le courant psychédélique tel qu’il explosa durant les sixties. Il y a d’abord cette passion pour Barrett que l’on retrouve à des instants différents de son parcours. Du premier disque acheté, Piper At The Gate Of Dawn, à la visite de l’appartement où Barrett vécut (Chambre 29) alors que Daho enregistrait Pop Satori à Londres, en passant par cet hommage discret qui clot l’album en question, Late Night ; tous ces chemins convergent vers ce courant emblématique qui inspira le Swinging London autant que la Californie des années 67-69. Autre point d’ancrage, cette passion pour le rock derrière la pop qui l’avait révélée. Le rock des débuts bien sûr, lorsqu’il fréquentait la crème des groupes post-punk français, mais aussi celui très urbain de Lou Reed. Marier les yéyés et le Velvet, telle était son ambition. Pourtant Daho le confesse, il n’a jamais vraiment bien su jouer de la guitare. Ce qui ne l’a pas empêché de s’entourer de musiciens confirmés en capacité de l’aider à défricher des idées déjà bien arrêtées. Ici, pour Blitz, Daho a invité les anglais Unloved comme il le fit avec d’autres (The Comateens pour Paris Ailleurs). La géographie explique elle aussi l’attirance de Daho pour des musiques non franco-françaises. Esprit cosmopolite, le musicien puise son inspiration au gré de ses voyages, d’un studio à l’autre, et des musiques qu’il découvre. Enfin, et il l’avoue, la drogue consommée jadis ne pouvait que le rapprocher de l’esthétique vaporeuse du psychédélisme des Seeds – Travel With Your Mind – que Daho cite en référence. Cette filiation lui permet d’échapper à la critique de la posture, de la mode, voire du revivalisme béat, factice, insincère. D’autant que dans ce magma sonique on retrouve sa signature : les mélodies bien sûr, mais aussi cette légèreté qui fit le miel de ses plus grands tubes. Le dernier caillou demeure sans doute le titre du disque. Blitz pour la rudesse d’une musique plus tempétueuse, plus rythmique que jamais. Mais aussi Blitz pour le Blitzkrieg, cette stratégie de la guerre éclair que l’Allemagne utilisa contre ses ennemis dont l’Angleterre. Au fond, directement ou indirectement, la génération psyché – Lennon, Waters – fut le fruit de ces années de guerre ; génération marquée au fer rouge, coulée dans le plomb des bombardements. Et le fait qu’elle se choisisse une musique aussi rêveuse, chamarrée, féérique se justifie par la volonté d’exorciser ce passé de mort. Tout comme Daho qui connut l’horreur de la guerre en Algérie. Et qu’il retrouve hélas comme nous tous aujourd’hui, intacte, froidement déterminée. De ce très bel album, constant, on gardera plus près du cœur encore des joyaux comme Chambre 29, Les baisers rouges, Les flocons de l'été, chansons hantées par leur créateur. On décèlera dans Les filles du canyon, Le jardin, Voodoo Voodoo, The Deep End mille et un délices lysergiques. À certains moments, des cordes alertes et un clavecin menu viendront ramener quelques bonnes manières, un je ne sais quoi d’élégance, cette étincelle qui a sans cesse embrasé les feux intérieurs d’Étienne Daho. Feux ou démons ? Car Daho reste un personnage insondable, un clair-obscur fait homme que ce très beau disque, inclassable et inattendu, montre à merveille.

Étienne Daho, Blitz (Mercury)

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