Clapton is God… Of Love

par Adehoum Arbane  le 04.12.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Les sociétés occidentales seraient-elles aussi patriarcales qu’on le prétend ? L’Europe médiévale qui a vu les femmes jouer un rôle fondamental, contredit cette péremptoire assertion. Mais le mal est fait. Les hommes travaillent, les femmes œuvrent aux tâches familiales et domestiques. ILS s’adonnent à des loisirs à l’image de leurs mâles attributions. ELLES s’accomplissent dans le cadre chaleureux de leur foyer. Mythe ou réalité, toujours est-il que cette grille de lecture a bêtement façonné le discours contemporain. Jusqu’à la culture pop. Alors que filles et garçons autrefois vibraient de concert aux sons des Bowie, Led Zeppelin, Marvin Gaye, frères et sœurs aujourd’hui se sont retranchés derrière leurs affinités, forcément catégorielles. Constat d’autant plus consternant qu’il touche aussi les chansons d’amour, celles qui vont droit au cœur des demoiselles, parce qu’à la rugosité du rock, celles-ci préféreraient le sucre. Le velours plutôt que le métal. Le métal et la rouille du blues. On arrête tout, il existe un disque de blues qui jette ce constat à la poubelle des certitudes passées. Layla & Other Assorted Love Songs de Derek & The Dominoes, troisième groupe de Eric Clapton « Is God » après Cream et Blind Faith. Mesdemoiselles, s’il est encore permis d’utiliser ce terme courtois, écoutez bien ce qui va suivre. Et surtout lisez ces lignes, elles vous concernent en premier chef. S’il possède son lot de traditionnels, comme on aime à dire, Layla & Other Assorted Love Songs s’avère un disque en forme de carte du tendre, une double galette où s’épanche le célèbre guitariste qui sut pour l’époque emprunter une autre voie que celle toute tracée du British Blues Boom tel que nous l’avons connu avec Alexis Korner et John Mayall. Derrière l’impression que laisse cet album roboratif mais toujours exquis, il y a la petite histoire. À cette époque, Clapton entretient une double relation amoureuse : avec Patti Boyd, la femme de George Harrison, dont il s’éprend passionnément et l’héroïne dans les bras de laquelle il tombe après le semi-échec de l’aventure Blind Faith. Si le destin est aveugle, c’est grâce à Duane Allman, rencontré à l’occasion d’une tournée US, que le coup de foudre musical se fera, et de surcroit redonnera à l’anglais la confiance qui lui faisait défaut. Layla and est donc un album de la souffrance et de la rédemption dont le principal sujet reste bien sûr l’amour. C’est aussi un disque très personnel qui n’évite pas toujours les démonstrations de virtuosité au travers de jams dont le groupe aurait pu largement se priver pour rendre l’œuvre parfaite. Mais me direz-vous l’amour se révèle un sentiment complexe, aux humeurs contrariées et il fallait sans doute ce genre d’imperfections pour que le résultat émeuve le plus grand nombre : les amoureuses de duels électriques hautement virils et les garçons friands d’histoires sentimentales. Ainsi, on passera outre Key To The Highway et Have You Ever Loved A Woman, verrues évidentes sur le joli nez de ces Assorted Love Songs. Pour le reste, on touche au sublime ! Malgré la présence de six musiciens et autant de techniciens, l’album sonne tout autrement, il trouve des trésors de douceur, parcourant des territoires intimes, servi par une écriture ciselée et authentique, fruit de la collaboration fusionnelle entre Clapton et Allman. En plus des guitares, orgue et percussion font des merveilles, conférant aux morceaux une tessiture des plus expressives. La tracklist oscille entre esbroufe électrique, comme sur Why Does Love Got To Be So Sad qui chicane à chaque note ou Keep On Growing au groove imparable, sans parler de Anyday (interprété par Duane Allman), et des parenthèses presque voluptueuses, féminines montrant le musicien sous son meilleur jour. I Looked Away judicieusement placé en ouverture de l’album en fait l’habille démonstration. C’est sans doute le meilleur résumé de la tonalité de cet album, la matrice des émotions à venir. Et celles-ci ne vont pas tarder à arriver, toujours plus intenses. Bell Bottom Blues plus que Layla, est sans doute LE chef-d’œuvre de l’album. Ce que Clapton a écrit de plus beau, de plus sincère, couplet de miel et refrain intense. I Am Yours dans un genre plus discret, tapis de congas, guitare en second plan, hammond bouillant de l’intérieur, fait mouche. Immédiatement. Nobody Knows You When You're Down And Out est, quant à elle, une chanson entre deux eaux : d’un côté les rives du blues le plus traditionnel, de l’autre la nouvelle orientation stylistique du guitar hero transformé en roi de cœur. Ici, la voix de Clapton – ses inflexions mélancoliques associées à l’orgue chaud de Bobby Whitlock – parvient à infléchir l’axe créatif de la chanson. Little Wing à l’entame triomphante s’impose comme une reprise digne, puissante même (il faut réécouter la version originale) et qui représente un nouveau sommet, préparant après le lacrymal mais vigoureux It's Too Late le terrain au hit single – long de sept minutes –, Layla. Avec son riff postmoderne, Layla aurait pu aisément être produit au tout début des années 80. C’est sans doute le morceau qui préfigura le slow métal dont Scorpions s’est fait l’ambassadeur. Mais chez Clapton, le rythme fait tout, le tempo, la suave énergie du désespoir. Layla c’est un affrontement, une lutte passionnelle, une course contre la montre de la passion qui s’étiole mais qui toujours finit bien – avec au mitant du morceau ce renversement de temps qui voit les esprits se calmer et retrouver le chemin de la paix de l’âme. Après un tel déluge de décibels, l’album se referme sur le délicat Thorn Tree In The Garden, signé Bobby Whitlock qui chante et joue de tous les instruments. Bien que traversé d’imperfections, de scories et autres concessions à l’air du temps, Layla & Other Assorted Love Songs demeure l’album de la réconciliation entre filles et garçons. Parce que la main du dieu Clapton est de fer, mais bien habillé dans un joli gant de velours.

Derek & the Dominos, Layla & Other Assorted Love Songs

Layla-And-Other-Assorted-Love-Songs-Album-Review.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=RRVkGpVWf6g

 

 

 

 


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