Nilsson, The Big Harry

par Adehoum Arbane  le 21.11.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Disque mal rasé jamais rasoir. Album des matins en forme de gueule de bois et tout à la fois œuvre lumineuse. Sans le vouloir les frères Coen ont dû s’inspirer du Nilsson en peignoir, barbe folle et yeux hagards, pour concevoir le personnage de Jeffrey Lebowski. Nilsson erre ainsi sur la pochette – il est pourtant figé, photographie oblige – de façon presque hiératique, seuls son regard vide et sa robe de chambre quasi ouverte traduisent le trouble de l’artiste à l’aube des seventies. « Gotta get up, gotta get out, gotta get home before the morning comes/What if I'm late, gotta big date, gotta get home before the sun comes up/Up and away, got a big day, sorry can't stay, I gotta run, run, yeah/Gotta get home, pick up the phone, I gotta let the people know I'm gonna be late. » Se lever sans chanceler et affronter la décennie à venir, tel fut le défi pour celui qu’on appela à juste titre le Beatle américain – dixit Lennon –, voire tout bonnement le cinquième ! On connaissait Harry Nilsson pour ses sublimes reprises. La plus célèbre, Everybody's Talkin' signée Fred Neil le propulse quelques années plus tôt sur le devant de la scène pop par l’entremise du film Macadam Cowboy. Il n’en fallut pas plus pour négliger les trésors de compositions que renfermaient Aerial Ballet (1968) comme Pandemonium Shadow Show (1967). Graciles et baroques, les pop songs de Nilsson bouleversent quiconque s’en est un jour approché. À la fois anglaises pour leur raffinement et américaines pour cet art de l’à-propos qu’un autre contemporain – et ami – pratiquera à merveille : Randy Newman. Nilsson Schmilsson est un album parfaitement imparfait. Comme un zigzag sonore mais avec deux grands morceaux d’ouverture de face. L’un enjoué – la règle – l’autre à haute teneur lacrymale – ce qui est plus rare. Gotta Get Up et Without You représentent deux faces – au sens littéral et métaphorique – d’un même disque. Chansons maniaco (Gotta Get Up) dépressive (Without You). Astres bipolaires dans le gris nilssonien. Et pourtant, nul relent de vieux whisky éventé, nulle fragrance de bière s’échappant des pores dilatés, malades. Malgré sa mine hirsute, le musicien continue de proposer – en moins baroque – de ces chansons dont il a le secret, presque éternel. Et régies par l’équation suivante : tout le sérieux du songwriter dans un écrin pop. Il y a dans le riff de piano de Gotta Get Up ce martèlement joyeux, reconnaissable entre tous. On le retrouvera d’ailleurs six ans plus tard dans le Mr. Blue Sky de ELO. Si Driving Along poursuit dans cette veine sautillante, cahotante s’agissant d’un véhicule motorisé, le reste de la face touche à l’intime autant qu’il paraît dénudé, sans peignoir donc. Prenez Early In The Morning. Basiquement, un blues. De surcroit joué uniquement à l’orgue. Quoi de plus simple, voire de plus simpliste ? Cependant, à force de se repasser et l’album et le morceau avec, on ne peut s’empêcher d’y découvrir un détail, un ornement qui en font un morceau différent de celui que l’on avait découvert la première fois. Un exemple, on y entend Nilsson frapper littéralement les touches de son orgue. À la longue – la chanson ne fait que deux minutes cinquante – on se croirait presque dans un morceau psyché tant musicien et auditeur semblent planer dans un autre éther. Même considérations pour The Moonbeam Song au détail près que cette chanson – à contrario de la précédente – offre une palette instrumentale plus large : basse, guitare acoustique et mellotron se promènent de concert, accompagnés de chœurs célestes. Après l’ode au petit matin, cet hymne délicieusement lunaire nous emmène loin, très loin. Pour revenir sur terre, il fallait une sonnette d’alarme, un rappel à l’ordre. Down joue sans problème ce rôle ingrat mais efficace qui emprunte le même chemin inspirationnel que le It's So Hard de Lennon – camarade de Nilsson – sur Imagine. Similitude presque troublante quand les voix et les mélodies des deux compères paraissent se confondre. Étonnante fin de face au regard de ce qui la précédait mais qui n’est rien en comparaison de ce qui va suivre. Une fois la galette retournée, c’est la syncope émotionnelle. À l’image du disque on est renversé. Ne dérogeant pas à la tradition de la reprise, Nilsson choisit des protégés des Beatles – hé hé –, Badfinger. Son leader et héros suicidé, Pete Ham, a écrit avec Without You ce qui restera sans doute sa plus belle chanson et la ballade ultime, beuglée par la dindonnante Mariah Carey. Il fallait la sensibilité féminine de Harry pour interpréter avec la plus extrême justesse cette mélodie si évidente – servie par un arrangement grand luxe – qu’elle transperce les cœurs, avec ses paroles à pleurer le nez dans sa bière du matin. Coconut, c’est un peu la même histoire que le tandem Early In The Morning/The Moonbeam Song mais en version tropicool, comme si Harry Nilsson était déjà parti en retraite anticipée du côté des Caraïbes, mais là en peignoir de bain. Sensation d’autant plus étonnante que la chanson évoque une fille dont les aigreurs sont soignées par un cocktail noix de coco-citron vert prescrit par un médecin, encore et toujours au petit matin. Si Let The Good Times Roll renvoie au bon vieux temps du rock’n’roll, la suite dénote, se démarque. Jump Into The Fire par sa dimension lou reedienne, étrangement vénéneuse, fait également songer à L.A. Woman des Doors. Vrombissant – merci à Herbie Flowers pour son travail à la basse –, le morceau décolle littéralement. Il fut qualifié à juste titre par un journaliste américain de "livid, dragon-bones funk". Enfin, l’album se referme sur le droit mais sublime I'll Never Leave You, réponse de Nilsson au Without You de Pete Ham. Plus impériale, crépusculaire que sa devancière, I'll Never Leave You laboure avec force les terres musicales de Randy Newman que Nilsson avait d’ailleurs mis à l’honneur sur son cinquième Lp, Nilsson Sings Newman. Bien qu’hétéroclite, Nilsson Schmilsson atteindra les plus hauts sommets des charts, faisant entrer son créateur dans la catégorie des « gros vendeurs de disques » avec la certification Gold. Last but not least, l’artiste recevra en 1973 le Grammy de l’album pop de l’année. Tout ça en robe de chambre. La classe.

Harry Nilsson, Nilsson Schmilsson (RCA)

Nilsson schmilsson.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=5FuxGuKB6zk

 

 

 

 

 


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