The War On Drugs, trip rock

par Adehoum Arbane  le 26.09.2017  dans la catégorie A new disque in town

Décomplexé. La seule évocation de ce mot fait frémir. Et pourtant, The War On Drugs est bien l’un des rares groupes à assumer un rock décomplexé. De son temps, mais sans pour autant se laisser pervertir par les sirènes de l’esthétique. Est-ce à dire que son quatrième album, A Deeper Understanding, ne l’est pas, nous répondrons par un non franc et massif en guise de cri du cœur. De prime à bord dense, bloc de son immédiat, ce très beau disque s’avère plus complexe qu’il n’y paraît. Surtout, jamais il ne cède aux tentations synthétiques bien qu’ajoutant à sa palette instrumentale claviers en tous genres. Le premier plaisir que l’on ressent à son écoute, c’est bien cette impression charnelle d’une musique réelle, incarnée et vibrante. Une musique rock au sens où elle est jouée sans trop paraître altérée. Les guitares y sont nombreuses, belles, en motifs, riffs ou en soli. Les quelques claviers que l’on entrevoit sur la pochette viennent compléter le dispositif, soutenu par une section rythmique efficace. Le plus fou, à une époque où il faut se réclamer de telle chapelle, est que les chansons de Adam Granduciel ne sont jamais à proprement parler identifiables. Elles semblent planer dans un autre éther. Et ce, qu’elles se déclinent en mid-tempos, en ballades ou en hymnes fiévreux à l’image de l’éclatant Nothing To Find ouvrant la face b. Les influences sont admirablement digérées : un peu de Springsteen, une ombre de Dylan traversant la voix, un sens de la mélodie rappelant parfois le meilleur Dire Straits. Mais également ce goût évident – le patronyme du singer-songwriter expliquant cela – pour les grands morceaux atmosphériques qui emportent tout.  Mais la musique qui touche en plein cœur n’est pas qu’affaire de production, ou de techniques d’enregistrement, même si le travail de studio reste essentiel à la création d’une œuvre pop. Ici, l’écriture compte plus que tout. Elle transpire à chaque note, une écriture sincère et inspirée, mais qui ne multiplie pas les effets de manche et autres falbalas auxquels s’adonnent sans réserve nombre de formations contemporaines. Les mélodies filent droit. Même sur Thinking Of A Place qui bénéficie du temps long pour s’épanouir librement, en dehors des schémas décidés. En cela, le musicien se rapproche d’un Neil Young période Everybody Knows This Is Nowhere. Il s’en dégage une mélancolie spatiale – mais pudique – une envie de rêve et d’évasion qui demeure l’apanage du rock américain – même si cela semble un cliché. The War On Drugs, ce n’est pas un regard jeté en arrière, comme une opulente chevelure dentelée de lumière. Mais plutôt une tradition, respectée, acceptée, ressentie au plus profond de soi. Un vœu, une adhésion totale à un idéal musical. Dieu sait à quel point cette notion d’idéal est aujourd’hui dévoyée, transformée en message de haine et de mort. Il y a dans ce disque profond, profondément beau une réponse juste et touchante à nos problèmes, nos douleurs, nos défis. Elle carillonne sur Pain, Holding On et ailleurs. Elle souffle un vent de liberté et d’optimisme malgré son apparente tristesse. Une compréhension profonde nous dit son auteur. On ne peut qu’acquiescer. Mais prend aussi le temps de se poser, de ralentir son tempo jusqu’à effleurer l’ineffable (Clean Living). En résumé, A Deeper Understanding, comme le veut la formule, c’est une certaine idée du rock. En dix chansons, pas plus. Une heure – c’est long mais l’album passe malgré tout trop vite – de musique comme on n’en fait plus. Une musique simplement délivrée donc bouleversante et qui nous laisse Knocked Down. D’autant plus qu’elle se paie le luxe de fourbir un single, l’entêtant et merveilleux Holding On, porté haut par son refrain de cristal. Une musique dont on sait immédiatement qu’elle saura s’épanouir également sur scène, réalité qui fait souvent défaut à bien des groupes. Et l’on en revient à ce mot trop souvent oublié. Celui-ci sait passer du confort du studio aux salles de concert où l’on prend tous les risques, même si ceux-ci sont mesurés. Remettre en jeu telle chanson, accepter de la faire évoluer afin qu’elle colle aux standards de la musique live. Accepter aussi de la laisser aller, d’improviser comme d’envisager que les musiciens avec qui vous jouez ne soient pas de simples accompagnants, qu’entre leurs mains, votre composition puisse se retrouver transfigurée. Granduciel l’a compris et le regard complice qu’il nous lance sur la pochette de son album vaut invitation. Que nous honorerons comme il se doit.

The War On Drugs, A Deeper Understanding (Atlantic Records)

war-on-drugs.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=JMZNt0MBfQg

 

 

 

 

 


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