Roger Waters, un homme en colère

par Adehoum Arbane  le 19.09.2017  dans la catégorie A new disque in town

On prétend souvent que le rock est mort, à raison. Trop d’argent, trop de cynisme, mais aussi et sans doute – ce qui était à craindre – une vie bien trop longue pour prétendre surprendre à nouveau. En 76, les punks sauvèrent les meubles. Dans les années 80, alors que le hip hop juvénile et crâneur débarquait, une certaine synthpop proposa – enfin – un discours neuf. Puis vinrent le grunge – Nirvana – et l’électro, qui était déjà pour cette dernière une autre histoire dans le sillon de la pop culture. Mais que reste-t-il de tout cela en 2017 ? Le rock c’était la colère, la sauvagerie, un désir d’abandon et d’insouciance, de fête éternelle et de rébellion quotidienne. Comme dans le film de Sydney Lumet, Roger Waters pourrait être l’un de ces douze hommes en colère. Ce type bout de l’intérieur, et cela s’entend dans son dernier effort, Is This The Life We Really Want. L’affirmation est avant tout une question, un pavé jeté dans la marre de l’indifférence contemporaine. Malgré les procès, les tournées pharaoniques, les millions amassés, tout le sucre du succès, Waters se paie le luxe de regimber. De refuser le monde qu’on lui sert et qui, ô ironie du sort, lui survivra. Il fait dans la protest song, non sans un certain talent. Il le fait épaulé par Nigel Godrich, le producteur attitré de Radiohead, qui s’est certainement fixé comme défi, de faire sonner ce disque comme une suite logique – et temporelle – de Dark Side of the Moon ou de The Wall. D’où ce résultat puissant mais tout à la fois glaçant, d’un strict point de vue conceptuel. Comme si Waters avait voulu effacer A Momentary Lapse of Reason, The Pros and Cons of Hitch Hiking et Amused to Death. On ne citera même pas The Division Bell, Waters ne faisant pas partie de l’aventure. La force de Waters qui n’est pas, pardonnez le jeu de mot, une eau qui dort, demeure dans sa capacité à trancher dans le lard de la pop sexagénaire, d’en sortir les tripes et de les montrer à son public. Dès lors, il arrive à être plus sincère que ses compagnons sur The Endless River. Certes, Déjà Vu où le musicien explore ses récentes addictions, ressemble à s’y méprendre à Mother sur The Wall. Et l’on pourrait dire la même chose de la plupart des morceaux. Le fil rouge de la conversation téléphonique – merci Bob Ezrin ! – nous ramène à The Wall. Et puis il y a ce son d’époque mais conçu en 2017 par Godrich – qui semble se faire ici plaisir. Bien que la démarche semble quelque peu troublante, confite, vaine – faire revivre une musique morte, et donc créer quelque chose de zombifié –, on marche. Mieux on se laisse avoir, happé, piégé, séduit. Peut-être aussi parce que les chansons sont au rendez-vous, que leur dénonciation déchirée – la voix fêlée, vieillissante de Waters contre laquelle la technologie ne peut rien – emporte tout. Paradoxalement, c’est quand Waters se la joue rocker (Smell the Roses) que le charme se dissout. Même si la chanson convainc grâce à son groove floydien inimitable, entre Have A Cigar et Echoes. Jusque-là, Picture That – proche de Welcome To The Machine –, Is This The Life We Really Want – et ses cordes très Melody Nelson –, Bird In A Gale et le somptueux The Most Beautiful Girl nous avez conquis, et même attrapé par la manche. Idem pour Déjà Vu et The Last Refugee – emprunté au Five Years de Bowie – dont le sujet, rabâché dans les médias, aurait fait fuir quiconque apprécie une certaine finesse dans le rock. Mais non, on n’arrive pas – plus – à résister. Le malaise – à relativiser – tient dans le fait que l’on navigue dans un cimetière glorieux, mais brumeux. Les morceaux s’enchaînent au fur et à mesure de notre promenade sépulcrale. Wait For Her nous guide. On est loin, très loin, des horreurs gilmouriennes (Rattle That Lock), on est ailleurs en fait. Enveloppés de nappes spatiales au milieu desquelles l’acoustique parvient à se faire une place. Oceans Apart fait alors le lien jusqu’au final, qui nous laissera sans doute orphelin. Roger Waters a-t-il livré son chant du cygne, son ultime épitaphe musicale ? Part Of Me Died avoue-t-il. Constat terrible mais honnête. C’est exact. Terriblement vrai. Sans nous le dire, ou l’annoncer par voie de presse, Roger Waters signe un chef-d’œuvre mature et moderne à la fois. Car malgré ses pesantes références, cette musique arrive à s’extraite et s’envoler. Elle plane au-dessus de la mêlée, et tutoie même l’intemporalité. Fort de sa carrière mais faible de son récent parcours, Waters en ressort grandit. À 73 ans, alors que ce dernier apparaît plus vieux que le genre lui-même, ce retour n’est plus une gageure. C’est un exploit. Mieux, une rédemption.

Roger Waters – Is This The Life We Really Want ? (Columbia)

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http://www.deezer.com/fr/album/42140191

 

 

 

 

 


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