Ariel Pink, white mishmash

par Adehoum Arbane  le 12.09.2017  dans la catégorie A new disque in town

Ariel Pink est le Frank Zappa des temps nouveaux. Un Brian Wilson synthétique. Un Kim Fowley produit par Quincy Jones. Ariel Pink est un derviche tourneur qui s’arrête tantôt sur l’un de ces modèles pour mieux l’explorer, le transcender. Aux yeux de ses détracteurs, c’est son fonds de commerce. Et sa corne d’abondance pour ses fans les plus ultras. Zappa, période Mothers of Invention, pour cet art si américain – voire californien – du crossover, du mishmash comme on dit en anglais. À l’image du célèbre moustachu qui mélange avec bonheur doo-wop, jazz et pop, Pink s’avère un véritable shaker à influences. Lui aussi n’a pas son pareil pour agglomérer pop sucrée, psychédélisme nucléaire et synthpop à tendance funky, pimentant l’ensemble d’une dose peu parcimonieuse d’humour. Santa's In The Closet, Dreamdate Narcissist – pastiche troublant du Pushin Too Hard des Seeds –, Death Patrol sur cette dernière livraison font ainsi échos aux Exile On Frog Street, Sexual Athletics, Nude Beach A G-Go, White Freckles et Plastic Raincoats In The Pig Parade de Pom Pom, son précédent « album ». Idem pour le jouissif Bubblegum Dreams, petit frère de Nude Beach A G-Go. La pop et, à fortiori, le rock’n’roll n’ont-ils pas été pensés comme un amusement, un désir de fête, de bacchanale, un entertainment ? Derrière le masque de la dérision, Ariel Pink – en vérité Ariel Marcus Rosenberg – sait se montrer plus tendre, presque fleur bleue sous ses dehors roses. Du gros Brian Wilson il a emprunté la grâce des mélodies béates qui vous touchent en plein cœur. Feels Like Heaven, Another Weekend ou l’élégiaque Do Yourself A Favor postulent au rang de classiques éternels aux refrains doucement FM. Vicieux, il décide cependant de démarrer son disque par Time To Meet Your God, dont les paroles prophétiques et les accents terribles illustrent sans le savoir deux années d’horreurs mystico-meurtrières. Comme pour se faire pardonner il rebat les cartes avec le faussement heureux Time To Live, se révélant tout aussi abyssal dans l’effroi que le morceau d’ouverture. Il y chante comme un Béla Lugosi dans sa cave, avant que minuit ne sonne. Au fond, Pink ne s’est jamais caché derrière le petit doigt de ses références. Il choisit même de les assumer crânement. D’un disque à l’autre, il se fend systématiquement d’une reprise mais en exhumant quelque artiste oublié. Sur Before Today, il revitalise Bright Lit Blue Skies du garage band Rockin’ Ramrods. Sur Mature Theme, il reprend Baby de Donnie & Joe Emerson. Lorsqu’il se lance en solo, il pense à Kim Fowley pour produire l’album. Ensemble, ils coécriront Plastic Raincoats In The Pig Parade et Jell-o avant que l’icône du Sunset Bvd ne décède des suites d’un cancer l’année suivante. Ici, Pink avance à découvert. Réhabilitant Bobby Jameson aka Chris Lucey, à qui il dédie son album (et son titre). Il s’agit de l’un des secrets les mieux gardés des sixties, une légende pop méconnue mais au combien talentueuse, qui signa sous ce patronyme deux Lp entre 67 et 69, dont le fameux Color Him In et un premier opus en 1965, sorte de Forever Changes avant l’heure – sans cuivres ni cordes –, Songs of Protest and Anti-Protest. Ce coming-out honore notre singer-songwriter qui transforme la chanson Dedicated To Bobby Jameson en Incense and Peppermints des temps nouveaux, tube absolu et terrassant – l’orgue baveux et le solo très west coast, façon Light My Fire. Pourtant, le californien ne se contente pas d’exhumer quelque instrument antique pour servir sa démonstration, non. Selon ses dires, il se serait plongé dans une récente biographie de Jameson pour en tirer le sel de ses chansons, fil rouge narratif autour de la vie et de la mort, en passant par l’innocence de l’enfance – un peu à la manière du West Coast Pop Art Experimental Band. Le plus troublant sur cet album, élégiaque à certains moments, réside dans le fait que Pink semble lâcher son personnage fantasque au profit d’une émotion à nue, jamais à ce point assumée. Une catharsis musicale. Mais Ariel Pink n’est jamais autant lui-même, et donc bigrement original, que lorsqu’il confronte tous ces styles les uns aux autres, les malaxant jusqu’à l’extase. Donnant à l’auditeur patient l’impression d’entrer dans l’attraction d’une fête foraine, encore une fois un crossover entre le train fantômes et le palais des glaces. Est-ce la réalité des sentiments ou un simple jeu ? Le musicien se plait à brouiller les pistes. Sans doute pour notre plus grand bonheur. Sur la pochette on le distingue au loin, baignant dans un fantomatique halo fantomatique luminescent, dans un cimetière gothique, bordant un château qui l’est tout autant, à la recherche de Bobby Jameson. Ou du nouvel héros pop qui lui soufflera le thème de son prochain album ? Allez savoir.

Ariel Pink, Dedicated To Bobby Jameson (Mexican Summer)

cover.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=MkXQIS5yL_E

 

 

 

 

 


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