Jefferson Airplane, Surrealistic Frisco

par Adehoum Arbane  le 01.08.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Surrealistic Pillow. Un album synecdoque. Fruit d’un groupe qui l’est tout autant. Le Jefferson Airplane, la partie. Et San Francisco, ville-scène dont il est issu, le tout. Le deuxième album de l’Airplane a ceci de remarquable qu’il constitue le miroir de Frisco. Allons plus loin dans la métonymie : les deux apparaissent comme indissociables, l’un ne pouvant s’empêcher de faire songer à l’autre. Peut-être parce que Surrealistic Pillow sortit le 1er février 1967 et que son succès, immédiat, fulgurant, en fit la bande-son parfaite et naturelle du Summer of Love dont nous fêtons cette année les cinquante ans. Démarrant dès le 14 janvier avec le premier Human Be-In organisé au cœur du Golden Gate Park, ce "moment" si particulier dans l’histoire de la contre-culture américaine – et de son ambassadrice, la jeunesse – mêla idéaux contestataires, amour libre, volonté d’une émancipation, restée jusque-là interdite. L’été de l’amour attira à San Francisco un demi-million de hippies et autres freaks en rupture de ban avec la société traditionnelle et patriarcale. On y rêverait longuement, bercé par ce nouveau rock en gestation, incarné par quelques formations primordiales. Le Grateful Dead, Country Joe & The Fish, et bien sûr Jefferon Airplane intronisant alors sa nouvelle chanteuse, Grace Slick qui portait si bien son prénom. Sorte de beauté à la fois juvénile et spectrale, l’anti-Nico absolue apporte avec elle, deux chansons ayant fait les beaux jours de son précédent – et excellent – groupe, Great Society. Soit Somebody To Love et White Rabbit, longues mélopées traversées de hautbois étrange et d’entrelacs distordus, dans la droite ligne du San Francisco Sound. Les versions revisitées par l’Airplane seront plus courtes, mais tout aussi fascinantes. Mais revenons à ce rapport qui unit un disque à une ville. Commençons par San Francisco. Où les rues dégringolent jusqu’à la mer. Où les gratte-ciels, peu nombreux, se courbent dans un signe d’allégeance devant ces maisons victoriennes, auxquelles la pochette de After Bathing At Baxter’s fait référence. D’ailleurs, cette avion-maison est à lui seul le symbole d’un groupe connecté à sa cité. Avec son habile mixe entre guitares électrique et acoustique, l’oreiller surréaliste ne lasse jamais de rappeler où il fut conçu. Tout en lui fait penser au San Francisco que ceux qui ont fait le voyage, connaissent. Dès les premières secondes entamées presque dans l’urgence par She Has Funny Car – possiblement le meilleur titre –, et tout du long, il émane de ce dernier un esprit dont Jerry Garcia, également san franciscain et crédité comme spiritual adviser, n’est peut-être pas étranger. Quand Somebody To Love démarre, c’est un flash que l’auditeur reçoit, ressent, un pur concentré de trip. Mais étonnamment, c’est par la suite que la musique dispense si habilement les parfums de la baie qu’elle a su capter. Today et surtout Comin’ Back To Me, malgré leur mélancolie presque impavide, dégagent un romantisme salin. L’écho du tambourin semble faire résonner les rues cahotantes de Frisco ou l’inverse. On ne sait plus très bien. Lorsque l’on ferme les yeux on entend la mer se confondre avec le ciel, on écoute les arpèges du San Francisco Gate produits par la brume. Today, c’est l’espoir de la révolution pop qui se dilue dans l’angoisse prégnante du futur – c’est-à-dire de la guerre. Comin’ Back To Me est un coucher de soleil sans fin sur Russian Hill. Si la face 2 débute sur un ton plus alerte, plus rock, on retrouve avec une joie à peine feinte l’éther vaporeux et drogué de morceaux comme D. C. B. A.-25, How Do You Feel – agrémenté d’une simple flûte qui fait tout – ou de l’instrumental Embryonic Journey qui pourrait être l’hymne d’une ville, d’un port, d’une promesse d’aventure et d’expériences. Le boléro de White Rabbit s’impose comme l’un des moments forts du disque, un climax temporaire, de courte durée mais véritablement intense. Plastic Fantastic Lover en sera la fin rêvée, idéal, le mot est lâché, tant Surrealistic Pillow incarne un horizon neuf, chatoyant, positif. C’était avant le délétère effet du buvard, les meurtres de la secte Manson et le passage, forcément rude, vers l’âge adulte du rock, au levant des seventies. L’espace de trente-cinq minutes, vous aurez quitté le quotidien, vous serez parti comme d’autres avant nous en Californie du Nord, vous goûterez aux douces vibrations d’un été qui ne finit jamais, vous vous perdrez d’un seul regard dans le pacifique, cet immense "lac espagnol". Les mains en poche, musique en tête, vous vadrouillerez dans Haight Street bien sûr, jusqu’au 2400 Fulton Street. Tel est Surrealistic Pillow. Ce rêve n’aura duré qu’une année pendant laquelle le groupe prit le temps – cinq mois – de donner une suite à son vrai faux premier album. After Bathing At Baxter’s en porte ainsi les stigmates, plus aventureux, plus fou aussi. Il n’a déjà plus le charme bohémien et san franciscain de son devancier. Celui-ci se veut l’équivalent des Promenades dans Rome gravé sur gomme, le Lp le plus stendhalien du groupe. Alors, si vous ne pouvez pas vous payer le billet, offrez-vous l’album.

Jefferson Airplane, Surrealistic Pillow (RCA)

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https://www.youtube.com/watch?v=oLrLSORJT-M

 

 

 

 

 

 


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