Tous les chemins partent de Abbey Road

par Adehoum Arbane  le 06.06.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Pygmalion, inspirateur, père spirituel, mentor, maître, la culture classique regorge de mythes, termes et autres images – souvent saisissantes – renvoyant à cette vérité : nous sommes tous redevables envers les figures du passé qui, nous ayant précédé, ont toujours ouvert la voie. Nous pourrions ajouter une expression de plus, qui aujourd’hui s’accorde à merveille avec l’un des grands mythes de la culture populaire, les Beatles. Abbey Road, tout comme Sgt Pepper’s, peut s’enorgueillir d’être devenu un album étalon. Au point de qualifier les choses ainsi : tel album est le « Abbey Road » d’un groupe. De prime à bord, on se méfiera devant une telle sentence, souvent séduisante mais par trop réductrice. Pourtant, celle-ci fonctionnait déjà avec Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Le niveau d’écriture, l’exigence formelle, la créativité débridée ont fait de cet album – à replacer immédiatement dans sa trilogie originelle avec en guise d’introduction les merveilleux Rubber Soul et Revolver – l’élément d’une comparaison permanente. Prenez ce groupe doué et pourtant méconnu, The Incredible String Band. En 1967, le duo composé de Robin Williamson et de Mike Heron publie son deuxième effort, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion, instantanément présenté comme le Sgt Pepper’s de l’acid folk – on savoure la complexité de cette dernière étiquette. Au-delà des particularités communes, la pochette chamarrée, le nom à rallonge, l’esthétique relativement inédite, mélangeant folk celtique et exotisme mondialisé, se veut le prolongement idiosyncratique de la geste beatlesienne. Mais revenons à Abbey Road. Malgré les contrariétés, pour ne pas dire les conflits, qui traversent le groupe de part en part, réveillant les anciennes douleurs, l’album se place dans le panthéon discographique comme leur legs le plus abouti. Même si Abbey Road apparaît comme la créature de Macca, Lennon et Harrison ne sont pas en reste qui livrent ici leurs meilleures chansons (Ringo jouant habilement des coudes en termes de songwriting). Là encore, la perfection sonore, les innovations techniques feront très vite office de « label », de « AOC » pop. De nombreux albums, produits dans la foulée, deviendront eux aussi des « Abbey Road ». Prenez les Pretty Thing, sorte de Rolling Stones du pauvre et pourtant géniaux, ils auront sorti avec SF Sorrow leur Sgt Pepper’s (qui fut aussi contre toute attente un « Tommy » avant l’heure) et leur Abbey Road, le formidable Parachute. Sur ce disque enregistré entre septembre 69 et avril 70 dans les studios d’Abbey Road (!!!), la qualité des compositions, le souci du détail, ce désir de faire sonner les basses de manière onctueuse, élastique comme seul le faisait McCartney, la douceur de miel des harmonies vocales et l’immédiateté pop autorisent cette proximité philosophique, et donc l’appellation. Même constat pour le premier et unique album de McDonald & Giles, respectivement saxophoniste-flûtiste et batteur sur In The Court Of The Crimson King. Gravé au printemps et à l’été 70, celui-ci arrive dans les bacs le 3 janvier 1971. Dans le froid londonien, l’album parait irréel ce qui expliquera sans doute qu’il fut ignoré par le critique, pire par le public. Et pourtant. Quand on se penche dessus, on ne peut que succomber à la délicatesse du propos. Bien que progressif dans les codes – longueur des morceaux, pièce de résistance de plus de vingt minutes en face B, transversalité entre rock, jazz et symphonisme –, l’essai se transforme en réussite incontestable, incontestablement pop. De l’entame de Suite In C jusqu’au très beau Birdman – le titre et le thème Wings In The Sunset en hommage à McCartney ? –, les deux musiciens offrent une musique ultra mélodique, parfaitement produite et mixée, avec de belles batteries mates, des lignes de basse ondoyantes, des cuivres triomphants et une flûte joliment primesautière. Flight Of The Ibis aurait amplement mérité les faveurs des ondes pour se présenter comme classique insolent, car à n’en point douter mélodiquement parfait. Un raffinement tranchant d’autant plus avec la rugosité, la noirceur du premier Crimson, qui à l’époque avait produit son petit effet terrifique, notamment le 5 juillet 1969 devant le public impréparé de Hyde Park. Constat impressionnant lorsque l’on songe que ces deux musiciens accomplis n’était pas les figures de proue du roi pourpre, le lead revenant de droit à Fripp dont la guitare ouvrirait des tranchées béantes et à Greg Lake, bassiste et surtout chanteur inspiré. McDonald et Giles, en accompagnateurs dociles, ont prouvé à quel point ils rivalisaient en matière d’écriture pop. Quant à leur interprétation, nous parlons du chant, elle vient concurrencer de près celle des liverpuldiens. C’est dire le niveau de leur album éponyme. La recherche de sophistication reste ainsi le sésame qui permettrait à tout groupe de remporter la médaille « Abbey Road de ». Parachevons cette démonstration par un dernier exemple, éminemment roublard. Groupe psyché américain, The Aerovons ira enregistrer, grâce à l’insistance de la mère de son jeune leader Tom Hartman, son unique album (Ressurrection) dans les studios légendaires qui donnèrent leur nom au onzième album des Fab. À l’écoute des titres, on est pris par un sentiment étrange, entre séduction et malaise. S’agit-il du « Abbey Road » du groupe ? Sans doute, plusieurs chansons sonnant étrangement comme celles des Beatles de l’époque. Hasard ou plagiat, nul ne peut le dire mais la question est permise. Preuve de l’empreinte évidente laissée par le célèbre quatuor anglais sur la production pop mondiale, hier comme aujourd’hui.

The Beatles, Abbey Road (EMI)

AbbeyRoad.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=LMff9CM7yPU

 

 

 

 

 

 


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