Kevin Morby, diligente élégie

par Adehoum Arbane  le 13.06.2017  dans la catégorie A new disque in town

Il fut un temps, c’était alors l’âge d’or de la pop et du rock, où les groupes sortaient un album par an, parfois deux comme les Doors, le Jefferson Airplane ou encore Spirit – Creedence en sortit trois la seule année 69. Aujourd’hui, les temps ont changé où les artistes prennent souvent le temps, plus que de raison, avant de livrer une nouvelle création. Pas pour Kevin Morby qui depuis 2013 enchaîne les albums avec la régularité du métronome, sans s’étendre en palabre ou procrastination inutile. Nous voici donc en 2017, et l’artiste de livrer son quatrième disque, City Music. On aurait pu croire à un essoufflement dans cette course contre la montre d’une époque par trop lymphatique, mais il n’en est rien. On sent en lui l’envie, le besoin de produire, pas tant de façon industrieuse, mais bien de coucher sur le papier les idées, textes, notes qui se bousculent dans son esprit fécond. Afin de ne rien oublié, tant pis pour les éventuels déchets et redites bien que l’homme semble échapper à ce tropisme des hommes pressés. Ainsi l’univers de Morby, même s’il est ancré dans le rock le plus traditionnel, ne manque pas d’explorer des contrées autres. Tantôt souls comme le simplissime/sublissime Dry Your Eyes où il a l’idée génial d’enregistrer sa voix sur une seule et même piste de sorte que l’auditeur a l’impression d’entendre le musicien lui susurrer à l’oreille droite cette chanson ourlée. Tantôt new wave à l’image de la glaçante introduction de Come To Me Now qui stupéfait d’emblée. Malin, Kevin Morby n’en oublie pas les tubes, ces refrains immédiats dont il a toujours eu le savant secret.  Crybaby, Aboard My Train, Tin Can ou le tendu 1234, mantra ayant inauguré pas mal de singles rock avant lui. Et puis, l’artiste possède un rituel qu’il honore à chaque livraison : placer dans la tracklist un morceau épique, long, étiré, dramatique. C’est à City Music, la chanson titre, de s’y coller. D’autant qu’elle se trouve admirablement introduite par Flannery, poème récité par Megan Duffy – on songe d’emblée aux albums de Tom Rapp, accompagné de son épouse. Ô merveille, City Music loin de labourer les mêmes terres angoissantes et planantes de Harlem River, Amen ou Singing Saw choisit l’exubérance comme ligne maîtresse. Pleines de joliesse et d’allant, les six minutes et quarante-cinq secondes passent comme un ouragan sur la ville de la musique. Les guitares sonnent claires, la voix s’envole. Il y a alors, dans cet instant suspendu, la traduction d’un accomplissement chez ce singer-songwriter qu’on aurait tôt fait de classer dans la case des taciturnes, des ombrageux. Si l’on pousse plus loin la découverte, de manière quasi géographique, on comprend que chacune de ces chansons, tout comme les précédentes, parle d’Amérique, mais pas seulement. City Music chante les grandes villes américaines, la vie qu’elles recèlent, leur rythme, leur dimension vibratoire, avec des mots simples mais beaux, avec des petits bouts d’histoires qui parleront à tous, comme Aboard My Train. Mais jamais Morby ne sombre dans le mythe du chanteur romancier, du novelist des grandes heures, comme en leur temps Lou Reed et Dylan le furent. Pourtant on pourrait aisément songer ces grandes figures tutélaires, à l’écoute de certaines lignes de guitare (Caught In My Eye) ou dans la voix cabossée du musicien. C’est une aventure continentale et suburbaine qu’il nous invite à vivre ; comment la refuser ? Tout au long de ces douze chansons, Morby suit son petit bonhomme de chemin, avec gravité, bonheur, sans nous laisser au bord. Il nous emmène dans sa valse sensorielle de compositions immédiates et puissantes – le chant sur Night Time. Il les agrémente d’instruments venant enrichir sa palette. Les piano, orgue – parfois quelques synthés – chœurs d’anges féminins ont rejoints les guitares noueuses, la basse volubiles et la batterie alerte (Pearly Gates). Le son y semble plus ouvert, panoramique, idéal pour restituer l’impression des grands espaces, fussent-ils couverts de bétons, hérissés en gratte-ciel, déployés en autoroutes, prolongeant les centres-villes en banlieues éclairs. On rêve de LA, parfois aussi de Chicago, de Brooklyn, de Philadelphie, de Boston, voire de Frisco. À chacune d’entre elle correspond une couleur, une chanson, une Musique comme le titre de l’album l’indique. Panneau géant sur le boulevard d’un imaginaire que l’artiste n’a pas fini d’arpenter. Enfin on l’espère. Jusqu’à la prochaine livraison. Dans un an. Chiche ?

Kevin Morby, City Music (Dead Oceans/Pias)

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https://www.youtube.com/watch?v=7cKM3tfAsEo

 

 

 

 

 


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